Culture

Les croyances religieuses traditionnelles chez les Duala

On nous a tous été plus ou moins convaincus, et nos parents avant nous, depuis notre enfance que c’est après l’arrivée des colons sur les côtes Africaines que les païens qu’étaient nos ancêtres ont connu DIEU.

Je peux désormais affirmer que les propos qui précèdent sont une version trafiquée de l’histoire car j’ai eu le plaisir au détour de mes différentes recherches, de découvrir que les Duala, une tribu de la côte Camerounaise dont je suis issue, avaient bel et bien des croyances religieuses bien encrée avant l’avènement du Christianisme.

Qui sont les Duala?

Les Duala sont une tribu monothéiste, qui croit en l’existence d’un seul Dieu suprême et créateur de toute chose qui s’est fait connaitre aux Hommes par des intermédiaires dont le devoir est d’intercéder en notre faveur auprès de lui.

En effet les religions Africaines dans la plupart, stipulent que dans l’œuvre de la création, l’humain est un des êtres inférieurs et ne peut de ce fait s’adresser directement au Créateur. Le panthéon des divinités chez les Duala est stratifié de telle sorte qu’il y ait Le Dieu créateur et des divinités et esprits inférieurs à Lui qui vivent soit au ciel soit sur terre, servant d’intermédiaires entre les Hommes et Le Créateur, et leur faisant connaitre sa Volonté. Les Hommes vouent un culte à ces divinités pour qu’elles leur accordent protection et bénédiction.CLIQUEZ POUR TWEETEROn peut déjà voir que ceci ne signifie en aucun cas que les Africains faisaient l’amalgame entre les divinités et Le Créateur parce que dans la conception une interaction directe avec Le Créateur est une chose quasi impossible et qu’il faut donc absolument passer par des intermédiaires désignés à cet effet pour rester en contact avec le divin.

Les Duala nomment ainsi Dieu « NYAMBE WEKE » celui qui est l’essence de tout, le Maître du temps, le Créateur incréé, celui en qui tout se meut et qui se meut en tout.

Ils le défissent comme suit : NYAMBE le générateur de tout est MUWEKIPEKI (le concepteur sans faille du plan initial), il est également EWEKE (le créateur incréé qui expulse de lui le tout), il est aussi EKUMBEKUMBE (le souverain maitre de Misipo l’univers) et enfin il est BWINDI (l’Eternel). NYAMBE est à la fois :

  • Ndimsi (occulte, tout ce qui est caché) et Ntélélélé (apparent),
  • Muwekipeki (concepteur) et Ewékè (façonneur).

Voilà la conception de « NYAMBE WEKE » dans les croyances ancestrales chez les Duala.

Le panthéon des divinités Duala est cependant vaste et je le maitrise encore très mal pour vouloir tenter de tout vous expliquer.  Néanmoins il faut savoir que Le Créateur dans son œuvre de la création s’est subdivisé au départ en un principe femelle et un principe mâle (Les Duala dans le temps avaient déjà la certitude que Dieu est un être qui n’a pas de genre et qu’on ne peut imaginer parce qu’il est le TOUT) et toutes les autres divinités sont issues de ses différentes mutations au cours de ladite œuvre.

Aujourd’hui en langue Duala le mot « Loba » s’utilise pour dire Dieu. Ceci n’est qu’un abus de langage du fait des évangélistes lors des diverses campagnes de conversion au christianisme et également du missionnaire Alfred Saker qui avaient préférés le mot Loba pour dire Dieu à celui de NYAMBE ce dernier notamment lors de ses travaux de traduction de la bible en Duala. Ce qui nous amène à nous intéresser à ce mot qui dans son sens premier désigne tout autre chose que Le Dieu Créateur : « Loba » exprime dans un premier cas de figure le ciel et tout ce qui est en haut et dans un second une puissance (divinité) issue de NYAMBE et dans ce dernier il n’y a pas un seul Loba mais bien plusieurs Maloba (pluriel de Loba). Les Maloba sont des manifestations du Divin Suprême, des mutations issues du Créateur ou tout simplement des divinités chargées d’intercéder auprès de NYAMBE en faveur des Hommes (Soyambé) et de veiller sur eux.

Le panthéon Duala

La société traditionnelle Duala était organisée autour de sept sociétés initiatiques (Losango) qui rendaient chacune un culte à une divinité mais la plus importante et celle qui régissait tout était l’isango (singulier de losango) JENGU. Plus connu sous le nom de mamiwata ou sirène, le Jengu est la principale divinité traditionnelle des Duala à laquelle ceux-ci rendent un culte depuis bien avant la colonisation jusqu’à nos jours, même s’il est vrai que cette pratique a perdu de son importance. La croyance ancestrale Duala explique que l’esprit d’Ekwa Mwato la femme-vie, la femme cosmique qui est la représentation de Ebenye encore appelée Isè, une des divinités issue d’une mutation de NYAMBE, la bienfaitrice des humains se localise dans les profondeurs sacrés des eaux.

 

Le Njib’a Dikoba (le paradis terrestre. Le paradis céleste Njib’a Dikolo étant le lieu d’habitation des divinités supérieures à celles résidant sur terre) et c’est cet esprit symbolisant à la fois force, courage, beauté, mystère et spiritualité qui se manifeste sous la forme du Jengu. Les traces du culte du Jengu remontent jusqu’aux environs de 1814. La légende dit même que c’est grâce aux MENGU (pluriel de JENGU) que les Duala se seraient installés sur le Littoral Camerounais.

Cette divinité serait aussi la généreuse donatrice de cette fameuse espèce de crevettes (Nyambé ya towè ou Mbéatowè dans sa forme contractée et plus usuelle qui peut se traduire littéralement par « divinités à ramasser ») unique au monde que l’on ne retrouve que dans le fleuve du Wouri (Rio Dos camaroès) qui donna son nom au pays tout entier. Dans le temps le centre d’activité de l’isango Jengu se trouvait sur un gigantesque rocher qui s’élevait sur les rivages du Wouri dans le canton Akwa. Après l’arrivée des colons il fût transféré sur l’île de Jébalè où il se trouve jusqu’à ce jour. C’est désormais là que sont recrutés les grands initiés du JENGU que sont le plongeur de l’Eloko (vase sacré), les chantres mystérieux de Jengu, les interlocuteurs authentiques des Mengu et les initiateurs éventuels aux rites du Jengu.

Toutefois le culte du Jengu ou toute autre divinité chez les Duala ne revêt pas la forme d’église au sens sociologique du terme, il n’y a pas de temple où le citoyen lambda ira prier. Seuls les initiés et ceux ayant des prédispositions naturelles pour, sont aptes à entrer en contact avec les divinités. La perception externe du culte du Jengu se symbolise plus par des éléments matériels comme le totémisme ou la célébration de la messe des eaux lors du Ngondo (célébration et cohésion annuelle des peuples Sawa).

 

De nos jours on ne peut plus dissocier le Ngondo de la célébration de la messe des eaux qui reste le point culminant de cette festivité mais ce rite est antérieur à la création du Ngondo, avant même l’installation définitive des Duala sur le littoral Camerounais il y a plus de 350 ans.

Le rite de la messe des eaux se caractérise par 2 temps forts :

  • La veille de la messe des eaux : Du temps c’était au son des tamtams (Belimbi) que l’on rappelait dans la journée, aux populations le lieu et l’heure du début de la veillée solennelle. De nos jours on utilise les moyens conventionnels de communication. La cérémonie est ouverte à tout le monde et a nécessairement lieu dans un clan de la tribu Duala. C’est un moment important de méditation spirituelle sous la coordination des patriarches et des chefs de cérémonies. Les prières et invocations sont font en langage chanté communément appelé Ngosso (le chant) plus précisément l’Essèwè rituel qui est un chant d’évocation publique interpellant l’ordre suprême (contrairement à l’essèwè dit profane qui est un chant d’expression directe pour dénoncer imposture, injustice et abus sociaux). C’est l’occasion pour les chefs traditionnels de se retirer pour délibérer à huis clos entre autre des décisions capitales sur l’organisation cérémonielle de la fête du lendemain et de renouveler leur serment aux divinités.
  • Le jour de la grande messe des eaux : les dignitaires suivi de la foule en tenue traditionnelle d’apparat qui consiste en un kaba (grande robe faite de tissu pagne) pour la femme et le sanja (pagne) pour les hommes traversent la ville et se dirigent sur les berges du Wouri. De nos jours chacun se rend au lieu-dit de la cérémonie, l’assistance fait silence sur ordre du chef de cérémonie qui ensuite prononce plusieurs fois l’ESA YA MBOA ou la prière collective aux ancêtres disparus, l’invocation solennelle des MENGU ; par cette prière les Dualas implorent les Mengu afin qu’ils les protègent, les bénissent et les comble des vertus de la terre et leur apporte prospérité.

Voici l’ESA YA MBOA des Dualas :

  • Chef de cérémonie : Ekwa mwato! (ce qui sort de la femme),
  • L’assistance : Oo! (oui),
  • Chef de cérémonie: O tam! (si tu y attentes),
  • L’assistance : Njom! (tu es responsable, avec toutes les conséquences)

Au cours de cette partie de la cérémonie plusieurs personnes dans l’assistance rentrent souvent en transe. Vient ensuite le rite de
l’immersion du vase ou « Siba l’Eloko ». Le plongeur initié va sur les eaux dans une pirogue (Bolo Ba Jengu) accompagné de trois autres initiés qui eux restent sur la pirogue pendant que celui-ci plonge dans les profondeurs du Wouri avec un vase de terre cuite noir assez volumineux et y reste une trentaine de minutes puis refait surface sans la moindre trace de goutte d’eau ni sur lui ni sur ses vêtements ni sur le vase (de nos jours il utilise un grand panier d’osier dont le fond est recouvert de feuilles de bananiers séchées) avec à l’intérieur le message des divinités de l’eau.

 

Il se dit qu’aux temps anciens les Mengu prennaient part de façon manifeste à la cérémonie. Il est rapporté qu’on pouvait voir plusieurs bras sortir de l’eau et remuer autour du Bolo Ba Jengu et que d’énormes quantités de poissons aussi étaient déposées sur la plage par des êtres que bien sûr les non-initiés ne pouvaient voir. Lors de l’immersion du vase, des groupes de chanteurs initiés chantent le Mukukume, une litanie psalmodiée en langage Mengu ou langue secrète des initiés au Jengu (Tila la ndimsi ou encore Velo va Jo) que eux seuls savent parler et entendent. Au retour de la pirogue sur la rive les grands prêtres du culte du Jengu vont par la suite décrypter le message des divinités et le transmettre à la population.

Les Dualas ne sont pas les seuls à pratiquer le culte du Jengu. On constate cette pratique chez bon nombre de tribus qui peuplent le Littoral Camerounais et au sens plus large celui Africain. Par exemple les Batanga de Kribi ou encore les habitants de l’ile de Fernando-po en Guinée Equatoriale (les Dualas l’appelle l’ile Dikabo, et leur langue est très similaire au Duala) possèdent leur propre lieux sacrés destinés à la pratique du culte du Jengu. Le Jengu s’apparente aux divinités Yémanja la déesse des eaux salées et Oxum la déesse des eaux douces qui sont, elles, célébrées dans la religion Vaudou qui est une religion pratiquée au Nigéria, Bénin, Caraïbes, Brésil, USA entre autres.

Il y a tellement à dire sur le Jengu et ses manifestations qu’un seul article ne suffirait pas. Le parallèle entre les religions judéo-chrétiennes est facile quand on les compare aux croyances ancestrales Duala. Un Dieu unique et des divinités ou des esprits qui intercèdent en faveur des Hommes. Le Jengu pourrait s’apparenter aux anges décrient dans la Bible. Il influe de diverses manières en allant de la manifestation simple, au pouvoir de traduire et transmettre des oracles (Bejongo) jusqu’à la possession spirituelle (Ko la Jengu) voire même sensuelle (Diba la Jengu, une simple alliance symbolique ou alors un mariage entre un Jengu et un humain).

Le jengu a tendance à se manifester plus auprès des femmes que des hommes.CLIQUEZ POUR TWEETERLe jengu a tendance à se manifester plus auprès des femmes que des hommes peut-être dû aux nombreuses similitudes entre celles-ci et cette divinité? Certains ne peuvent compter le nombre de fois qu’ils ont entendu dire d’une fille de la côte qu’ « elle a le mami wata ». Cependant il est important de noter qu’il n’existe pas que des Mengu qui font du bien. Ce serait grossière erreur de croire que dans le monde spirituel il n’y a que du bon. Les concepts de bien et de mal existent partout.

L’Isango Jengu ne régentait pas seulement la vie religieuse, elle avait aussi pour rôle d’assurer la vie politique et économique des populations, elle servait la médecine et aussi de dynamiteur lorsque le Ngondo traversait des moments difficiles. L’Isango Jengu était responsable des initiations qui symbolisaient la renaissance périodique de la société traditionnelle Duala. Le culte du Jengu était le lien commun de culture et d’esprit avec les autres peuples de la côte et assurait ainsi les bons rapports entre eux. C’etait le plus puissant Isango de la côte Camerounaise, elle formait avec le Ngondo et les autres six Losango l’ossature même de la société Duala.

Sources :

  • archives numériques, forums et pages culturelles (www.lepeuplesawa.com, Dimbambè La Sawa ),
  • extraits des ouvrages « Masomandala – révélation des vérités cachées », Ebele-Wei et « Le peuple du fleuve : sociologie de la
    conversion chez les Duala », René Bureau

 

Auteur: K. M. (Contributrice indépendante)

 

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