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Le calvaire des populations noires dans le monde Arabe, un esclavage des temps modernes

 « Les Noirs Africains qui travaillent en Egypte, en Algérie et en Libye, racontent comment ils sont ridiculisés publiquement et physiquement agressés ». – Rebecca Tinsley, « the Great Taboo: Arab racism », the Huffington Post USA, 2011.

 

Lorsque l’on évoque la question du racisme contre les Noirs, l’on pense directement aux pays tels que la France et les États-Unis où les personnes de cette couleur sont victimes de violences policières. Depuis quelques années, les portraits de jeunes Noirs des milieux défavorisés tués ou violentés par des policiers blancs apparaissent dans la presse internationale : Trayvon Martin, Tamir Rice, Alton Sterling, Adama Traoré, Théo Luhaca. Cependant, les discriminations vécues par les populations noires dans les pays arabes sont passées sous silence car légitimées par la mémoire collective des peuples de ces régions. Elles trouvent leur origine dans la traite arabo-musulmane qui débuta au VIIème siècle sur les côtes orientales du continent Africain, un sujet encore tabou aujourd’hui.

D’après Jean-Michel Deveau, cette tabouisation de l’esclavage arabo-musulman est un frein aux recherches et oblige même certains auteurs à aborder le sujet avec prudence. Ce qui ne facilite pas la dénonciation des abus dont souffrent au quotidien les hommes et les femmes noires vivant dans les pays du Maghreb et du Machrek. Le racisme arabe contemporain envers les Noirs – et parallèlement la xénophobie courante dans cet espace régional culturel – est un thème récent dans la sphère journalistique et fait l’objet d’une analyse profonde à la suite d’histoires relatées par les travailleurs migrants, à l’observation de la crise des migrants de la Méditerranée, à l’approche d’évènements importants tels que la coupe du monde prévue en 2022 au Qatar.

La perception de l’homme noir dans l’imaginaire arabe 

Dans les pays du Maghreb, les populations noires, même natives de ces pays, essuient au quotidien les marques du racisme. Lorsqu’on ne leur crache pas dessus, on les traite de Kahlouch (Nègre), Abid (esclave), Qird (Singe. Je tiens d’ailleurs à préciser que lors de mon séjour en Tunisie, entre Janvier et Mars 2016, je me suis faite traitée de « Guera-guera » à maintes reprises, ce qui signifie « singe » www.observers.france24.com/fr/20130501-tunisie-attaque-immeuble-etudiants-africains-police-noir-racisme-lafayette).

Dans un articleKalil Diakite, qui a suivi une partie de ses études au Maroc, nous confie « le prix à payer pour sa couleur ébène » au royaume chérifien : Le Noir est constamment victime d’agressions de toute sortes, on se bouche le nez à son passage, on lui donne le nom d’Ebola. Même dans les universités et les mosquées, qui sont pourtant des lieux de partage et de transmission du Savoir, les Noirs sont raillés, humiliés et méprisés. Cette discrimination courante n’est pas seulement le fait des adultes, mais aussi celui des enfants qui peuvent vous lancer des pierres (Une chose dont j’ai également été victime avec une amie dans le quartier El Khadra de Tunis. Heureusement, ce n’était pas une agression violente). Ces faits nous rappellent le footballeur camerounais Albert Ebossé, mort à la suite d’un traumatisme causé par le jet de projectiles pendant un match de championnat en Algérie.

Une preuve que la négrophobie est enracinée dans les mœurs de ces sociétés et rappelle d’ailleurs l’esclavage nigritique qui eut lieu 20 ans après la mort du Prophète Mahomet. En effet, à partir de 652, certains éléments des populations noires du continent africain sont capturés et vendus comme esclaves dans l’empire ottoman. Un évènement historique marque le début de ce commerce transsaharien : La soumission des Nubiens aux troupes de Abdallah Ben Saïd (autres variantes : Abd Ibn Sarh, Abd Allâh Ibn Saad Ibn Sarh)  qui oblige le roi Kalidurat, par la signature du Traité de Bakht, à la livraison annuelle de « trois cent soixante esclaves des deux sexes qui seront choisis parmi les meilleurs (…) et envoyés à l’imam des musulmans ». A propos de cet épisode historique, l’anthropologue Tidiane N’Diaye écrit :

« Le douloureux chapitre de la déportation des Africains en terre d’Islam est comparable à un génocide. Cette déportation ne s’est pas seulement limitée à la privation de liberté et au travail forcé. Elle fut aussi – et dans une large mesure – une véritable entreprise programmée de ce que l’on pourrait qualifier d’extinction ethnique par castration ».

En effet, les Noirs de sexe masculin étaient castrés par les négriers avant leur mise sur le marché. Par ailleurs, Cette mise en esclavage est également légitimée par d’éminents sociologues arabes tels que Ibn Khaldoun (1332-1406) :

« Il est vrai que la plupart des nègres s’habituent facilement à la servitude ; mais cette disposition résulte, ainsi que nous l’avons dit ailleurs, d’une infériorité d’organisation qui les rapproche des animaux brutes ».

Cette pensée nous rappelle les conceptions racistes des intellectuels européens du siècle des lumières et les théories sur l’inégalité des races humaines. Si la traite négrière effectuée par les Occidentaux est constamment remise au centre des débats sur la table, celle qui a été pratiquée par les arabes à partir du VIIème siècle est plutôt occultée, voire même tabouisée.

 

De nos jours, malgré l’abolition officielle de l’esclavage en 1980 en Mauritanie, l’on retrouve encore des esclaves noirs dans ce pays. Les autorités mauritaniennes préfèrent ignorer cette pratique répandue malgré la sonnette d’alarme tirée par les activistes et militants anti-esclavagistes mobilisés au sein d’ONGs comme l’IRA (Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste) et SOS Esclaves qui estiment à 20% de la population totale, les victimes de ce fléau. Ces personnes, qui dénoncent la non-application des dispositions légales interdisant l’esclavage, sont plutôt poursuivies sur le plan judiciaire.  C’est par exemple le cas des 13 militants anti-esclavagistes condamnés pour rébellion par la cour criminelle de Nouakchott en 2016.« En Mauritanie, ce sont les abolitionnistes qui sont en prison, pas les esclavagistes. » – Balla TouréCLIQUEZ POUR TWEETER

Étude de cas : la situation des domestiques noires dans les pays du golfe 

Depuis quelques années déjà, nous pouvons lire dans les médias les histoires racontées par des femmes africaines ayant exercé comme domestiques dans les pays du Golfe. Des récits qui traduisent l’horreur vécue par celles qui pensaient trouver une vie meilleure sous de nouveaux cieux, victimes de leur ignorance mais surtout des conditions de vie souvent désastreuses dans les pays d’Afrique subsaharienne. Cependant, à leur arrivée dans ces pays, leur rêve se transforme vite en cauchemar : elles deviennent les bonnes à tout faire dans les ménages arabes, sujettes au harcèlement sexuel de leur employeur. Leur passeport et leurs téléphones sont confisqués ; elles n’ont aucun moyen de joindre leurs familles restées au pays. D’après le témoignage recueilli par le journal Le Monde auprès de Julienne, une togolaise de 36 ans et ancienne employée de maison au Liban, elle était constamment battue par sa patronne à la moindre incartade.

Privée de nourriture, elle se nourrissait dans les poubelles de la famille libanaise pour laquelle elle travaillait. Interdite de sortie et de téléphone, elle subissait cette maltraitance en silence. Lorsque l’ « animal » (nom donné à elle par sa patronne) ne fut plus apte au travail, ses employés la reconduisirent à l’aéroport sans pour autant lui payer ses arriérés de salaire. Incapable de s’acheter un billet d’avion pour le Togo, elle dut attendre que le patron de l’agence qui lui avait permis de venir au Liban vienne la chercher pour la conduire à l’hôpital. Après quelques jours passés dans l’institut hospitalier et un rétablissement partiel, elle fut recueillie par l’ONG Caritas qui apporte une aide considérable aux travailleurs migrants au Liban. Le même traitement est relaté par Gertrude Megne dans une interview réalisée avec Jeune Afrique en 2015.

 

Ces abus trouvent leur source dans la « Kafala »CLIQUEZ POUR TWEETERCes abus trouvent leur source dans une pratique légitimée par le droit préislamique des Bédouins d’Arabie, la « Kafala ». A l’origine, il s’agissait d’une disposition qui permettait à tout étranger de bénéficier de la protection de la Tribu. Le droit musulman a ensuite récupéré cette pratique coutumière pour encadrer l’adoption des mineurs dans certains pays arabes tels que le Maroc ou l’Algérie. Effectivement, Le Bousicot la décrit comme un système par lequel une famille peut récupérer sous son aile un enfant abandonné ou orphelin. Cependant, ce dernier ne peut avoir les mêmes droits d’héritage qu’un enfant légitime. Cette pratique a été transformée en sponsorship obligatoire dans le monde de l’emploi des pays du Golfe. Gilbert Beaugé explique :

« Pour s’installer et travailler, tout étranger dans le golfe, qu’il soit entrepreneur ou simple ouvrier, a besoin d’un Kafil (sponsor) qui est à la fois le garant juridique de sa présence dans le pays et un intermédiaire avec la société locale ».

Michel Nancy abonde dans le même sens :

« En effet, aucun étranger ne peut entrer, ni à plus forte raison séjourner ou travailler dans le pays, sans la garantie, la protection, la caution, d’un citoyen du pays. Le citoyen en question sera responsable de ses agissements devant les autorités. Tout étranger, quelle que soit sa position sociale, a besoin de la garantie d’un Kafil : il ne peut avoir aucune activité, salariée ou non salariée, sans l’autorisation ou la couverture de son Kafil ; sans lui, il ne peut posséder en propre, ni boutique, ni atelier, ni même un instrument de travail (moyen de transport, engin ou machine d’une certaine importance) ; tout sera inscrit au nom du Kafil, propriétaire légal ».

En bref, l’étranger qui souhaite travailler dans ces pays est à la merci complète de son employeur. De plus, il ne peut quitter le pays sans l’autorisation de son Kafil.

A l’approche de la coupe du monde qui se tiendra en 2022 au Qatar, on note une population importante de travailleurs immigrés sur les chantiers de cet évènement de grande envergure. La mort de plusieurs d’entre eux chaque jour dans des conditions déplorables oblige le monde à ouvrir les yeux sur les persécutions habituelles que connaissent les étrangers dans le monde arabe.

SOURCES :

 

 

 

Alice MALONGTE

Alice MALONGTE est Consultante au sein du Cabinet STRATEGIES ! SARL (Douala, Cameroun). Elle porte un grand intérêt à l'Histoire, aux Peuples et cultures du continent africain.

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