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Afrique, terre originelle de la civilisation

De nombreux chercheurs occidentaux, issus de diverses filières scientifiques allant de l’égyptologie à la philosophie, théoriciens de l’inégalité des races, ont longtemps prétendu que l’Afrique était restée en marge de l’Histoire de l’Humanité, comme une vulgaire spectatrice de l’avancée du monde.

Ainsi, ils considèrent que l’Afrique n’entre dans l’Histoire qu’avec l’arrivée des Européens sur le continent. En d’autres termes, l’Afrique n’existait pas avant les désirs expansionnistes de l’Ouest, et s’il faut lui reconnaître une quelconque existence, ce serait celle d’une terre primitive dont les habitants ne sont point dotés de « la chose du monde la mieux partagée ». A cet effet, le philosophe allemand HEGEL déclarait dans son Cours sur la Philosophie de l’Histoire : « L’Afrique n’est pas une partie historique du monde. Elle n’a pas de mouvements, de développements à montrer. De mouvements historiques à elle. C’est-à-dire que sa partie septentrionale appartient au monde européen ou asiatique ; ce que nous entendons précisément par l’Afrique est l’esprit anhistorique, l’esprit non développé, encore enveloppé dans des conditions de naturel et qui doit être présenté ici seulement comme au seuil de l’Histoire du monde ». Même si le discours prononcé par Nicolas SARKOZY, le 26 juillet 2007 à Dakar, a cherché à atténuer la pensée de Hegel à travers les propos suivants « Le drame de l’Afrique, c’est que l’Homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », il n’en demeure pas moins qu’il est la traduction d’ « un stéréotype fondateur des discours racistes des XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles ».

Expression de mythes et de préjugés, le continent africain devient la projection de frustrations ressenties par ceux qui le considèrent comme une terre sans histoire. L’on peut se rendre compte que,  « De déformation en déformation, le continent, mère de la civilisation, passe aujourd’hui pour celui où l’esprit n’a jamais brillé ». Il faut surtout reconnaître que cette négation, complète ou partielle, de la contribution de l’Afrique à l’Histoire de l’Humanité est la preuve de complexes qui submergent ceux qui se demandent comment cette terre a pu abriter le Peuple qui, d’après HÉRODOTE, a fourni aux Grecs de l’Antiquité les éléments de la civilisation. Ces admirateurs contemporains de l’Égypte antique estiment qu’une civilisation aussi complète ne peut pas être le fruit d’un « esprit africain » c’est-à-dire noir et essentiellement prélogique. Or, l’état actuel de la science démontre que l’ancienne Égypte a été dirigée par des dynasties de pharaons noirs, donc Africains.

La question que nous nous proposons d’analyser, à savoir la nature des Égyptiens et leur apport à la civilisation universelle, a longuement été exposée dans les travaux d’éminents intellectuels tels que Cheikh Anta DIOP et Théophile OBENGA. A travers leurs écrits, ces chercheurs ont profondément étudié la société égyptienne de l’Antiquité, la nature de ses habitants et ont fait un rapprochement entre les traditions dans les sociétés contemporaines d’Afrique et les pratiques égyptiennes, ainsi qu’entre plusieurs langues africaines et l’Égyptien ancien. Loin de théoriser la supériorité d’une « race africaine » sur le reste du monde, notre document apporte sa modeste contribution à l’écriture de l’Histoire de l’Humain, qu’importe son origine ou sa couleur de peau. Nous voulons balayer les stéréotypes de misère et de pauvreté dont on caractérise l’Afrique d’aujourd’hui, pourtant héritière d’une histoire riche, car « le passé n’est jamais mort. Il n’est même pas passé » et appartient au présent. Dans cette optique, la définition du concept de « civilisation » nous permettra de comprendre ce qui fait de l’Égypte nègre l’une des meilleures civilisations que le monde ait connu. Nous pourrons ainsi constater que l’Égypte antique a été le berceau aux creux duquel plusieurs sciences telles que l’astronomie se sont développées.

Qu’entend-on par « civilisation » ?

Plusieurs éléments peuvent être considérés lorsqu’on souhaite assigner un sens au concept de « civilisation » : Le progrès technico-matériel, le développement de la pensée et l’existence d’une écriture propre au peuple considéré, l’organisation par le biais d’institutions politiques et sociales, l’exercice d’activités dite productrices telles que l’agriculture. Alors, considérons-nous qu’une civilisation est la situation dans laquelle se trouve une société humaine qui a pu développer des sciences et des arts, stimulant ainsi le progrès technico-matériel et le développement spirituel, et qui se distingue des autres groupes humains par l’existence d’une organisation hiérarchique ainsi que la mise en place d’institutions sociales (normes, culture, pratiques spécifiques) et politiques.

L’origine des anciens Égyptiens et leur apport à la civilisation universelle

Lorsque nous parlons de civilisation en Afrique, nous nous référons à la première civilisation que le continent a vu naître, celle de l’Égypte antique. L’Égypte antique, dont le rayonnement s’étend sur 10.000 années, est considérée comme l’une des plus brillantes de l’Histoire en ce sens qu’elle a permis l’éclosion de sciences telles que les mathématiques, la calendrologie, la médecine et a participé à la formation de célèbres philosophes tels que Platon et Aristote. Pour de nombreux chercheurs à l’instar de Gilles BOETSCH, le Peuple égyptien est « celui qui permit le passage de la barbarie à la civilisation ». Diop avait démontré que la haute Égypte est antérieure au delta du Nil. C’est ce que rappelle Théophile OBENGA en ces termes : « Le delta égyptien n’était pas habité avant 3500 avant notre ère. Ce n’est qu’à partir de 3500 avant notre ère que le delta est sorti de la mer. Ainsi dans le delta, les plus anciens objets fabriqués par l’Homme datent seulement de 3500 avant notre ère, tandis que l’ensemble des datations au C14 effectuées jusqu’en 1975 montrent que les objets fabriqués par les Hommes remontent à la plus haute antiquité en haute Egypte et dans les pays voisins (Nubie, Soudan). Au demeurant, c’est un roi du sud, donc de la haute Egypte, Menes (Narmer) qui conquit le delta et l’Egypte dynatique était née ».

D’après les témoignages d’auteurs anciens comme HÉRODOTE et DIODORE de Sicile, qui ont visité l’Égypte antique, l’on sait que les Égyptiens étaient des Noirs. Ces derniers considéraient d’ailleurs la Nubie comme le berceau de leurs ancêtres. L’on peut noter cela à travers le rapprochement que fait Diodore de Sicile entre les Égyptiens et les Éthiopiens de l’Antiquité en ces termes : «  Les Éthiopiens disent que les Égyptiens sont une de leurs colonies qui fut menée en Égypte par Osiris ; et ils ajoutent que ce pays n’était, au commencement du monde qu’une mer ; mais qu’ensuite le Nil, charriant dans ses crues le limon emporté de l’Éthiopie, a peu à peu formé des atterrissements. (…) Ils disent, en outre, que la plupart des coutumes égyptiennes sont d’origine éthiopienne, en tant que les colonies conservent les traditions de la métropole ; que le respect pour les rois, considérés comme des dieux, le rite des funérailles et beaucoup d’autres usages, sont des institutions éthiopiennes ; enfin, que les types de la sculpture et les caractères de l’écriture sont également empruntés aux éthiopiens ». Ce rapprochement sera également effectué par Hérodote en ajoutant un nouvel élément, les Colchidiens. Effectivement, s’agissant des Colchidiens, Hérodote affirma : « Les Égyptiens pensent que ces peuples sont des descendants d’une partie des troupes du pharaon Sésostris, je le conjecturai sur deux indices, le premier c’est qu’ils sont noirs et qu’ils ont les cheveux crépus, preuve assez équivoque, puisqu’ils ont cela de commun avec d’autres peuples ; le second, et le principal, c’est que les Colchidiens, les Egyptiens et les Ethiopiens sont les seuls hommes qui se fassent circoncire de temps immémorial ».

D’ailleurs, le mot « Km.t » (lu « Kemet »), issu de la racine « kem » qui signifie « noir » en égyptien ancien, est le nom que les Égyptiens se donnaient ou donnaient à leur pays. En effet, certains égyptologues considèrent que ce mot signifie « la terre noire » tandis que d’autres estiment qu’il veut dire « Pays des Noirs ». Cette dernière conception a été confirmée par les investigations effectuées par Cheikh Anta Diop et présentées lors du colloque d’égyptologie organisé par l’UNESCO au Caire en 1974. Diop a effectué des prélèvements sur les momies égyptiennes provenant des fouilles de Auguste Mariette, qui se trouvent au Musée de l’Homme à Paris, afin d’évaluer le taux de mélanine sous leur peau. Ses conclusions montrent que le taux de mélanine présent sous la peau des anciens égyptiens est plus élevé que celui que l’on retrouve chez les races leucodermes. D’autre part, le recours à l’ostéologie permet d’affirmer que l’Égyptien ancien était un nègre. Cette affirmation découle des mensurations ostéologiques mises au point par l’égyptologue allemand Karl Richard Lepsius et que tous les égyptologues connaissent sous le nom « canon de Lepsius ». De plus, le profil ci-dessous, représentant le sphinx, a été décrit par le philosophe français VOLNEY, lors de sa visite de l’Egypte pendant les années 1780 consignée dans l’ouvrage intitulé Voyage en Egypte et en Syrie, comme une « tête caractérisée de Nègre dans tous ses traits  ».  Il affirma également : « Penser que cette race d’hommes noirs, aujourd’hui notre esclave et l’objet de notre mépris, est celle-là même à qui nous devons nos arts, nos sciences et jusqu’à l’usage de la parole ».

Figure 1. Le Sphinx lors de la première expédition française de 1798

L’Historien grec Hérodote avait reconnu que l’Égypte antique fut une source d’inspiration pour les Grecs de l’Antiquité. D’ailleurs, c’est elle qui leur fournit tous les éléments de la civilisation parmi lesquels le culte des dieux. Il est important de préciser que cet historien visita l’Égypte aux premières heures de son déclin, c’est-à-dire lorsqu’elle avait déjà perdu son indépendance face aux Perses. Toutefois, il décrivit cette terre comme le berceau de la civilisation au vu du développement spirituel et scientifique, ainsi que du progrès technico-matériel qui caractérisait la société égyptienne. Afin de comprendre les conclusions d’Hérodote, il nous faut faire une incursion dans l’un des domaines que les Égyptiens ont pu développer et approfondir, à savoir le décompte du temps. Ce travail n’ayant pas la prétention d’être exhaustif, il ne saurait présenter toutes les avancées scientifiques qui ont vu le jour dans l’Égypte antique.

De nos jours, nos calendriers comptent généralement 365 jours. Nous considérons également qu’une heure est égale à 60 minutes. Tous ces éléments, anodins aujourd’hui, trouvent leur source dans les pratiques égyptiennes. En effet, plusieurs papyrus retrouvés montrent que l’Égypte antique était très avancée sur le plan astronomique. C’est par exemple le cas du Papyrus Carlsberg 9 qui expose une méthode de calcul des phases lunaires. C’est à partir de ces connaissances astronomiques que les Égyptiens ont pu inventer les unités de temps que sont l’année et l’heure, éléments dont on s’inspire encore aujourd’hui. Comme le rapporte Diop, en 4236 av. J.-C., les Égyptiens avaient déjà mis au point un calendrier basé sur le lever héliaque de l’étoile Sothis, plus connue aujourd’hui comme Sirius, « l’étoile la plus brillante du ciel », donc le cycle dure 1460 ans d’après le calendrier égyptien. Il faut noter que « le lever héliaque de Sothis (d’une étoile) est son lever simultané avec le soleil ». En effet, l’apparition de cette étoile dans le ciel se produisait à la période où le Nil sortait généralement de son lit. Ce phénomène d’apparition de l’étoile simultané à la crue du Nil avait une grande importance pour les Égyptiens car il symbolisait la fertilité de leurs terres, d’où l’existence d’une déesse nommée « Spd.t » (lu « Sopdet ») représentant la nouvelle année et la crue du Nil (Figure 2). Sothis était donc l’étoile la plus importante aux yeux des égyptiens pour les raisons que nous avons évoquées dans les lignes précédentes.

Figure 2. Sopdet est illustrée par une femme surmontée d’une étoile (la femme est le symbole de la fertilité et l’étoile au-dessus est Sirius)

Par ailleurs, selon le calendrier égyptien, une année, symbolisant le temps nécessaire pour la récolte, comptait 365 jours répartis de la manière suivante : 360 jours normaux auxquels on ajoute cinq jours supplémentaires, chacun dévolu à une divinité, Osiris, Horus, Seth, Isis et Nephtys. Ces cinq jours ont été appelés « jours épagomènes » par les Grecs. Cependant, les Égyptiens avaient conscience du décalage entre cette année civile (365 jours) et l’année solaire (365 jours et un quart). En effet, ils avaient constaté que l’apparition de Sothis se produisait un jour plus tôt chaque quadriennale. Mais au lieu d’ajouter un jour supplémentaire tous les quatre ans afin de rattraper ce retard, comme nous avons l’habitude de faire depuis Jules César,  ils accumulaient ce jour pendant 365 x 4 ans, soit 1460 ans, d’où un retard d’un an. Comme le précise Diop, « en effet, cette période de 1460 ans est la durée qui sépare deux levers héliaques de Sothis sous la latitude de Memphis » et est appelée « période sothiaque » par les astronomes. De ce fait, en fonction de leur conception du temps, les Égyptiens créèrent une année supplémentaire pour rattraper le décalage entre l’année civile et l’année solaire. Ainsi, tous les 1461 ans, l’année civile coïncidait avec l’année solaire. En d’autres termes, tous les 1461 ans, les évènements prévus dans l’année civile coïncidaient exactement avec ceux du calendrier solaire. Plusieurs chercheurs qui ont analysé le calendrier civil égyptien ont reconnu l’ingéniosité des Égyptiens. C’est par exemple le cas du mathématicien autrichien NEUGEBAUER qui le considère comme « le plus intelligent que l’Homme ait jamais inventé ».

Bibliographie

  • Bibliothèque historique de Diodore de Sicile, Traduction nouvelle avec une préface, des notes et un index par M. Ferd. HOEFER, Tome premier, Paris : Charpentier, 1846, 350 pages
  • BOETSCH, G. (1995), « Noirs ou Blancs : Une histoire de l’anthropologie biologique de l’Égypte», Égypte Monde Arabe, N° 24, PP.113-138, https://ema.revues.org/643
  • BRAUDEL, F. (1994), A history of civilizations, Traduit du français par Richard MAYNE, The Penguin Press, 1994, 640 pages.
  • DIOP, C.A. (1987), « Apport de l’Afrique à la civilisation universelle»,  Actes du colloque international centenaire de la conférence de Berlin 1884-1885, Paris : Présence africaine, 1987, PP.41-71.
  • DIOP, C.A (1974), The african origin of civilization. Myth or reality, Edité et traduit du français par Mercer COOK, New York : Laurence Hill & Company, 317 pages.
  • FAULKNER, W. (1951), Requiem for a nun, Random House, 242 pages.
  • GEVART, P. (2007), Dictionnaire de culture générale à l’usage des candidats aux concours administratifs, L’étudiant.fr, 381 pages.
  • HEGEL, G.W.F. (1965), La raison dans l’Histoire, Éditions 10/18, Département d’Univers Poche, Traduit de l’allemand par K. PAPAIOANNOU, 312 pages.
  • HÉRODOTE, Enquête, Tome 1, Histoires de Crésus et de Cyrus, Paleo, 2009, 246 pages.
  • KECK, F., PLOUVIEZ, M. (2008), Le vocabulaire d’Emile Durkeim, Paris, ed. Ellipses, 95 pages.
  • KI-ZERBO , J. (1978), Histoire de l’Afrique noire d’hier à demain, Paris : Hatier, 768 pages.
  • KLEIN, J.L., LASSERRE, F. ed. (2011), Le monde dans tous ses Etats : Une approche géographique, Presses de l’Université de Québec, 637 pages.
  • OBENGA, T. (2000), Cheikh Anta Diop, Volney et le Sphinx : Contribution de Cheikh Anta Diop à l’historiographie mondiale, Paris : Présence africaine, 484 pages.
  • VOLNEY, C.-F-. (1787), Voyage en Egypte et en Syrie, Chez Dessene et chez Volland.

 

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