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Bois-Caïman : quand le vodou consolida une révolte d’esclaves

Si l’histoire est une longue alternance entre lumière et ténèbres, la traite négrière est sans nul doute à mettre au compte des moments les plus obscurs de l’humanité. La cruauté du joug esclavagiste ne fut néanmoins pas sans rencontrer un certain nombre de résistances, autant brèves que pérennes, autant pacifiques que sanglantes. Tel fut le cas de la révolution haïtienne. Placée sous les auspices du vaudou, la cérémonie du Bois-Caïman fut le catalyseur de ce soulèvement qui aboutira à l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804.

Les ferments de la révolte

Jadis connue sous le nom de Saint-Domingue, Haïti est à la fin du XVIIIe siècle la plus riche des colonies françaises. En 1789, elle était le premier producteur mondial de sucre et de café. Cependant, cette prospérité à nulle autre pareille s’appuie sur une exploitation particulièrement inique. En effet, le traitement des esclaves nègres constituait le comble de l’inhumanité. Le Code Noir régissant les rapports entre eux et les maîtres ne leur accordait aucun droit et offrait un cadre légal aux multiples sévices. Au sommet de la hiérarchie raciale et sociale se situaient les maîtres blancs. L’échelon en dessous était celui des mulâtres, le plus bas pallier étant réservé aux nègres.

Malgré les voix incessantes qui appelaient à une abolition progressive de l’esclavage, la traite à cette époque demeura particulièrement active. On estime que à environ 30 000, le nombre d’hommes qui étaient débarqués chaque année sur l’île. Deux issues s’offraient alors aux esclaves : la soumission intégrale ou la fuite hors des plantations (le marronnage). Les fuyards (nègres marron) constituèrent des communautés dans les régions montagneuses de l’île. Ils résistèrent tant bien que mal tout en adoptant la religion de leurs ancêtres venus d’Afrique : le vaudou.

La cérémonie du Bois-Caïman

Cette atmosphère d’injustice ne pouvait que présager une insurrection violente. Le vif désir de se libérer était ancré dans l’âme des esclaves. Le pas n’est cependant pas facile à franchir car les représailles ne seraient que plus violentes en cas d’échec. Il fallait donc une force supérieure, un stimulant qui ferait croire à l’infaillibilité de la révolte : c’est le rôle que remplira le vaudou. 

Dutty Boukman, (c) Wikipédia

La nuit du 14 août 1791, dans la clairière du Bois-Caïman située sur la plantation Lenormand de Mézy, une impressionnante procession vaudou est convoquée. Le maître de céans est Dutty Boukman. Ancien esclave né en Jamaïque, c’est un Houngan (prêtre Vaudou) et chef des marrons. Il est adjoint par Cécile Fatiman, prêtresse haïtienne. 

Cécile Fatiman, (c) La Maison d’Haïti

Boukman a réuni un grand nombre d’esclaves afin de frapper leur imaginaire pour fortifier la révolte. C’est une nuit orageuse où les éclairs de la foudre illuminaient le ciel. Un cochon noir est sacrifié, une partie de son sang est répandu au sol et le reste est bu par les participants. Le pacte de sang est scellé par les paroles sacramentelles de Boukman :

« Le Bon Dieu qui fait le soleil, qui nous éclaire d’en haut, qui soulève la mer, qui fait gronder l’orage ! Entendez-vous, vous autres, le Bon Dieu caché dans les nuages! Là, il nous regarde et voit tout ce que font les Blancs. Le Dieu des Blancs commande le crime, le nôtre sollicite les bienfaits, mais le Dieu qui est si bon nous ordonne la vengeance. Il va conduire nos bras et nous ordonner l’assistance. Briser l’image du Dieu des Blancs qui a soif de nos larmes. Ecoutez en nous-mêmes l’appel de la liberté ! (…) ».

Une rébellion sanglante

L’offensive est déclenchée. Dans la nuit du 21 au 22 août 1791, de véritables bataillons de marrons se répandirent dans les plaines. Armés de machettes, de haches, de couteaux, de fourches, ils volent, tuent, pillent et incendient tout ce qui se trouve sur leur passage. La vengeance appela l’horreur. Près d’un millier de propriétaires blancs sont massacrés en quelques jours. Le nord de la colonie est saccagé. La révolte prend de l’ampleur et atteint le Cap Français. Boukman est tué au combat et décapité. Passant pour invulnérable, sa tête est placée au bout d’une pique et exposée en public pour prouver sa mort. La révolution ne s’arrêta pas pour autant.. D’autres marrons prirent la relève, au nombre desquels Biassou, Jeannot et un certain Toussaint Bréda (plus tard Louverture). Mais ceci est une autre histoire. 

La cérémonie du Bois-caïman, (C) Haïti-Culture

La cérémonie du Bois-Caïman fut un croisement entre le politique et le mystique. Elle symbolisa pour la nouvelle Haïti ce que Romulus et Rémus furent pour Rome : le récit fondateur d’une conscience nationale. Boukman devint le premier martyr de la révolution haïtienne. Le vaudou fertilisa la révolte et s’érigea pour l’occasion en symbole de la fierté nègre.

Sources :

Djidé

Béninois, Archiviste-documentaliste sorti de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature. Passionné d’histoire, de livres et de musique.

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