Autrefois symbole de personnalité ou d’appartenance à une tribu, les scarifications ont représenté à travers l’histoire, un tissu capital de la culture noire africaine. A l’instar d’autres pratiques endogènes, ces « mutilations tégumentaires » font aujourd’hui face à la dominance de la culture moderne, notamment occidentale. Quelle est leur histoire, et quelle position occupe désormais ces pratiques dans l’Afrique contemporaine ?
Origine des scarifications
Vous avez sans doute déjà croisé une personne qui porte des balafres au visage ou d’autres scarifications sur le corps. Si ce n’est pas encore le cas, ce n’est pas bien grave, sachez toutefois que cela est très courant en Afrique noire. Ces pratiques dont beaucoup ignorent l’origine et la signification sont loin d’être anodines. Les scarifications ont été initiées afin de marquer l’intégration des individus et de reconnaître plus aisément leurs origines au sein de la population noire. Il existe plusieurs signes qui permettent de faire la distinction entre les groupes ethniques, les tribus, ou encore les divers échelons de la hiérarchie. Manifestement, les sociétés Africaines étaient bien ordonnées et hiérarchisées durant la période pré-coloniale plus qu’elles ne le sont aujourd’hui.
Dans leur livre « Awon asa ati Orisha ile Yoruba » , les nigérians Olu Daramola et Adebayo Jeje affirment que les ancêtres se sont adonnés aux scarifications afin de permettre à leurs descendants qui pourront malheureusement être pris en esclavage, de se reconnaître entre eux et de se souvenir de leurs origines lorsqu’ils se retrouveront loin de leurs terres. De récentes explications ont révélé du côté du Bénin que certaines familles scarifiaient leurs descendances dans le but ultime de leur éviter l’esclavage puisque les esclavagistes préféraient les corps non mutilés.
Mutilations ? Tégumentaires.
Dans le tome 16 du Journal de la société des Africanistes, paru en 1946, le Dr. Pales L. définit les mutilations tégumentaires comme étant « des altérations volontaires définitives qui ne visent pas à la destruction et qui sont pratiquées sur les tissus de couverture de l’organisme :
- La peau,
- La muqueuse de certains organes (gencives),
- Les plans de certaines parties du corps qui sont cutanées au recto et muqueuses au verso (narines et lèvres),
- Les plans cutanés avec un tissu d’interposition, cartilagineux (conque) ou cellulo-adipeux (lobule), au niveau de l’oreille. »
En effet, les scarifications sont « des plaies superficielles volontaires, créées par l’incision ou par la cautérisation des téguments; dans le but d’obtenir des cicatrices. » Cette description fait alors de ces pratiques culturelles, des mutilations tégumentaires. Il en est de même pour les tatouages stricto sensu.
Diversités, significations et utilités des scarifications
« Quand vous naissez dans telle ethnie, vous portez telle marque sur le corps. », professeur Botchi, socio-anthropologue à l’Université d’Abomey Calavi
L’Afrique noire compte des centaines de groupes socioculturels qui s’adonnent habituellement à des scarifications et cultes identitaires. Pratiqués sans aucune distinction de sexe, leurs dimensions peuvent toutefois varier d’un groupe ethnolinguistique à un autre. Ainsi vous verrez de courtes scarifications chez certains, et carrément des balafres pouvant aller de la tempe au menton chez d’autres.« Quand vous naissez dans telle ethnie, vous portez telle marque sur le corps. » – Pr. Botchi, Socio-anthropologue BéninoisCLIQUEZ POUR TWEETER
Les significations sont aussi nombreuses que les scarifications sont diverses. Selon leurs formes, leurs dimensions et leurs positions sur un visage, il est possible d’identifier les individus d’une ethnie donnée, d’une famille ou encore d’une catégorie sociale. A titre d’exemple, nous avons :
Les abaja (lire abadja) chez les yoruba : 3 ou 4 (abaja merin) scarifications obliquement tracées ou à la l’horizontale. Elles peuvent être répétées; doublées sur la longueur ou superposées dans le sens contraire.
Il existe différentes formes pour différencier les origines. Par exemple les abaja chez le peuple Ijèsa (lire idjècha) sont différentes de celles des ègba, de celles des ékiti, ou encore des abaja olagbele, des abaja olowu, etc.
Les pélé (lire kpélé) chez les yoruba : très souvent et au maximum 3 scarifications verticales sur la joue. Ceux qui en portent sont communément appelés péléyeju (lire kpéléyèdjou) pour siginifier que les pélé siéent leur visage. On en distingue également diverses formes pour différencier les origines: les pélé du peuple de ifè (ilé ifè), pélé des ijèbu, pélé des ijèsa, etc.
Les kéké toujours chez certains yoruba : Encore appelées gombo, il s’agit de 3 ou 4 longues scarifications obliques sécantes avec de plus courtes à l’horizontale qui leur servent de support.
Quelques autres exemples de scarifications identitaires à travers l’Afrique noire:
Par ailleurs les scarifications ne sont pas seulement à but identitaire. La médecine en Afrique n’est pas que moderne; elle est aussi traditionnelle et les scarifications y occupent une place importante. On distingue à cet effet plusieurs types de scarifications à finalité curative et/ou préventive. On scarifie donc aussi hommes, femmes et enfants en Afrique noire afin de les soigner ou les protéger.
Dans ce même registre, un autre type de scarification dénommé « Abikou » est destiné aux nouveau-nés pour leur permettre de survivre, dans les cas des mères qui ont perdu plusieurs enfants avant d’avoir ces derniers.
Les scarifications représentent pour certains un insigne de fierté ou une marque de beauté pouvant valoir un régime de faveur. En milieu rural, elles servent à attester la légitimité d’un enfant. Au Bénin par exemple, tout individu de la famille Adjovi de Ouidah porte 2 stries verticales 5 fois au visage (2 joues, 2 tempes, 1 tempe). Il en est de même pour les Capo-chichi de Savalou. Les Hountondji sont une famille princière tellement influente que leur esclavage était interdit. Ils portent 2 stries verticales au dessus de chaque tempe, sans quoi les honneurs de leur rang ne leur étaient pas accordés.
Que reste-t-il de ces pratiques de nous jours?
Le temps passe, et avec lui plusieurs cultures, philosophies et croyances. Force est de constater que ces pratiques ont de moins en moins le vent en poupe auprès des générations actuelles. Si certains les trouvent désuètes, d’autres pensent qu’il faudrait les préserver. Plusieurs facteurs expliquent le délaissement de ces pratiques qui, autrefois, permettaient de connaître l’origine d’un individu dès le premier regard posé sur lui. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles certains ne souhaitent plus faire des scarifications à leurs enfants. Ils ne veulent pas forcément qu’on les reconnaisse à cause des signes sur leurs visages. Il en va parfois de leur sécurité!
Il peut également arriver que suite à une mauvaise expérience (ex: les railleries) vécue à cause de ces signes, certains parents décident de préserver leurs descendance de cette pratique. D’autres optent pour le “Yé non xo” qui consiste à “acheter” les scarifications. Lors de la cérémonie précédant la mutilation, arrivée à l’étape où il faut marquer le visage de l’enfant, le parent implore les dignitaires d’épargner à l’enfant cette marque. Les dignitaires à leur tour soumettent la requête aux dieux par le biais du Fâ (l’oracle) qui peuvent accepter ou rejeter ladite requête. Dans le cas d’un oui, l’enfant ne portera pas de scarifications. Dans le cas contraire, il faut envisager des cérémonies et des sacrifices à faire en suivant les instructions du Fâ (NB : nous n’avons la certitude de la possibilité de ce recours formel que dans les zones du Centre et du Sud du Bénin).
La question d’hygiène est aussi très présente. En effet, lors des cérémonies, on utilise souvent la même lame sur plusieurs personnes. A l’heure où des campagnes de sensibilisations sur le VIH et d’autres maladies contagieuses sont légion, certains préfèrent jouer la carte de la prudence.
Les scarifications sont indéniablement reconnues pour leur originalité et leur valeur identitaire en Afrique noire. Leurs pratiques ne sont cependant pas sans danger. Toutefois, sachant que des dispositions ont toujours été prises lors des scarifications afin d’éviter les infections d’ailleurs très rares, un total rejet de cette pratique culturelle au vu des nouveaux facteurs de risque est-il la meilleure solution? La modernisation de la pratique pour plus de sécurité serait-elle une entorse à l’originalité de cette pratique traditionnelle? Faudrait t-il aussi laisser la tradition continuer de priver les enfants du droit au choix de ce qu’ils doivent porter sur leur visage toute leur vie? Telles sont quelques questions que nous inspire l’avenir des scarifications en Afrique.
Cet article a été co-rédigé avec Mme Jordie J. KOKO, étudiante à l’Institut Supérieur de Formation Sociale et de Communication (ISFSC Bruxelles, Belgique)
Sources :
- http://www.bbc.com/afrique/region/2014/06/140617_reportage-leila
- https://lanouvelletribune.info/archives/benin/societe/10717-les-scarifications–une-marque-identitaire-menacee-de-disparition
- http://fraternitebj.info/culture/article/les-scarifications-un-heritage
- http://www.27avril.com/blog/culture-societe/societe/scarifications-ethnies-togo-mythes-sacralisent-us-coutumes-chez-kabye-tem-pedah
- Awon Asa ati Orisa ile Yoruba – Olu Daramola & A. Jeje
- Pales L. Les mutilations tégumentaires en Afrique noire. In: Journal de la Société des Africanistes, 1946, tome 16. pp. 1-8
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