Chroniques

Le gong a bégayé : trois clichés sur le royaume de Danxomê

Plusieurs récits populaires sur d’anciens royaumes africains avaient pour dessein de noyer les peuples de la cité de Kama dans l’étang de « continent sans civilisation », « peuple barbare », « individus sauvages et cruels »… Le royaume de Danxomê est l’une des victimes de cet affront culturel et historique que l’écrivain béninois Apollinaire AGBAZAHOU a décidé de corriger. Dans sa pièce de théâtre “Le gong a bégayé“, l’enseignant de français et inspecteur du second degré reconstitue et restitue certains éléments truqués et omis de ce grand ancien royaume de l’Afrique.

L’égarement d’un prince acculturé

A l’ouverture de cette pièce théâtrale subdivisée en 6 symboles, le lecteur entre dans l’impressionnant palais royal du Danxomê à l’aurore d’une épidémie de modernisme qui a atteint en pleine tête Vidaho, le prince héritier instruit. Vigoureux dans son élan de donner une touche nouvelle aux pratiques de la cour qu’il juge rétrogrades, il arrache le gong du Kpanligan, le griot du Roi, l’empêchant ainsi d’exercer la tâche qui est la sienne. Cette agression « culturelle » engendra d’office un double crime traditionnel (« la langue a fourché à Kpanligan et le gong a bégayé » p.69) qui ne peut rester impuni. Toutefois, l’immunité du prince acculturé et la jouissance de son droit de défense le sauvent de la peine capitale. Convaincu que l’âme de son fils, qui héritera du trône à son départ pour Allada (à sa mort), est corrompue par l’histoire erronée apprise dans les livres, sa majesté enclenche une procédure de « recyclage au plan de l’histoire », pendant laquelle Kinnoumi (la fiancée du prince), Kpanligan et Migan (la main punitive du Roi) lui prêtent main forte. C’est justement à ce niveau que le lecteur s’étonnera d’apprendre d’élogieuses et inimaginables révélations sur les courtisans et les rois de Danxomê. C’est la révélation de ces mensonges et non-dits qui fera craquer le vernis ténébreux et sarcastique dont les historiens ont couvert le Danxomê.

Nul ne peut raconter l’histoire des Africains mieux que les Africains eux-mêmes…

L’origine du nom Danxomê

Le premier pan épais de l’histoire que le dramaturge Béninois fait écrouler est relatif aux circonstances de la naissance du royaume de Danxomê. L’histoire raconte, et celle-ci est vraie car AGBAZAHOU le reconnait, que le fondateur a tué Dan pour ériger en son sein le pilier de sa case. Cependant, les raisons de cette mise en péril ne sont pas fondées sur l’exercice du crime gratuit ni sur une généreuse ingratitude comme l’estiment les livres. Dan est puni à cause de son insupportable outrecuidance. Le Roi éclaire la lanterne de son fils en ces termes, qui se passent de tout commentaire : « Notre royaume est fondé sur la punition de l’insolence de Dan, le premier chef de ces lieux qui a osé dire à mon ancêtre qui réclamait un peu de terre pour l’extension de son domaine, de venir bâtir dans son ventre… Dan appris à ses dépens que notre race ne supporte pas l’arrogance. » p.85 Les rois du Danxomê ne meurent pas, ils vont rejoindre leurs ancêtres à Allada.

Le danxomènou est-il une personne sanguinaire ?

La deuxième rectification concerne la raison qui fonde les guerres de conquête menées par le royaume en cette période sensible. La connaissance de l’ordonnance du Roi Houégbadja ampute aux Danxomènou le goût du massacre, de l’horreur, de la tuerie, et de l’effusion du sang dont l’histoire les affuble. Cette ordonnance stipule que « chacun de ses descendants a le devoir historique et sacré d’agrandir le Danxomê » p.88. Or le non-respect des percepts d’un chef traditionnel en Afrique, entraîne inéluctablement de lourdes représailles non seulement sur le contrevenant et ses descendants directs, mais aussi sur le royaume tout entier. Aussi, la condamnation des guerres de conquête pratiquées par les rois est un réflexe inculte parce que, selon le dramaturge, à l’ère du règne de Ganhounou (la loi de la jungle), assiéger les régions voisines était le seul moyen de ne pas se faire manger par les plus gros poissons.

« Les souverains du Danxomê sont très intelligents, ils n’ont jamais vendu aux Blancs les captifs de guerre talentueux » Apollinaire AGBAZAHOU

La complicité des rois du Danxomê dans la traite négrière

Qui parmi nous, épris du sens de la fraternité, n’a pas déjà condamné avec dédain et dégoût, l’horrible esclavage pendant lequel, les Danxomènou vendaient leurs propres frères aux Blancs en échange de futiles objets ? Seulement, considérant certains facteurs que sont les exigences de la guerre et le profil des hommes vendus, l’Africain taillera moins ses ancêtres sur la mesure d’hommes sans scrupule ! En effet, il est irréfutable que dans un climat de guerre, les dépenses sont énormes et seules les entrées de fonds peuvent sauver d’une famine certaine. Le seul « business » conjoncturel était la vente des esclaves. A cet effet, l’ancien directeur du conseil d’administration du Festival International de Théâtre du Bénin (FITHEB) clame que ces esclaves vendus en cette période cruciale de l’histoire dahoméenne étaient seulement des captifs de guerres récalcitrants, sans qualification professionnelle et donc inutiles pour le royaume. La vérité selon laquelle l’humain a horreur des bouches inutiles à nourrir aurait donc un caractère universel.

Le gong a bégayé mais n’est pas devenu muet sous la fine plume d’Apollinaire AGBAZAHOU. Bien au contraire, il a émis des sons de vérités occultées à la riche et unique histoire du Danxomê. Il a aussi révélé des non-dits que nous exposerons dans une deuxième partie.

Bibliographie

Le gong a bégayé précédé de La Bataille du trône d’Apollinaire AGBAZAHOU, ed. Plumes Soleil/Laha, 2013

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