Au-delà des pertes en vies humaines ou en ressources matérielles causées par la traite négrière, l’esclavage et la colonisation, il y a surtout le complexe d’infériorité que ces évènements ont inculqué aux personnes de couleur noire. Imprimer dans l’esprit de l’Homme noir une supériorité imaginaire de la race blanche est sûrement la plus grande réussite des artisans de ces systèmes de domination. Toutefois, les mouvements pour les droits civiques des années 60-70 aux États-Unis vont permettre aux descendants africains de reconquérir leur identité. C’est ainsi que la coiffure Afro s’illustre comme moyen d’expression politique et culturel.
Aux sources du complexe d’infériorité
Depuis l’époque précoloniale, le cheveu crépu est utilisé comme un vecteur de messages dans plusieurs sociétés africaines. La coiffure d’un individu reflétait son groupe ethnique, son rang social ou sa situation de famille. L’esthétique avait une importance particulière pour ces peuples car elle était un moyen de communication avec leur environnement. Par exemple, comme le rapporte la photographe Juliana Kasumu, les femmes nigérianes vivant dans un foyer polygamique avaient créé une coiffure dans le but de narguer leurs coépouses. Connue sous le nom « Kohin-Sorogun » qui signifie « Tourne le dos à ta rivale jalouse », cette coiffure révélait toute sa beauté lorsque la femme qui la portait présentait son dos à l’observateur.
Le commerce transatlantique, qui dure du XVIème au XVIIIème siècle, joue un rôle majeur dans la déstructuration des sociétés traditionnelles d’Afrique noire. L’esthétique africaine va se transformer au contact de la culture occidentale. Dans leur livre Hair Story : Untangling the roots of black hair in America, Ayana Byrd et Lori Tharps expliquent que la première punition affligée à un esclave après sa capture était de raser ses cheveux. Cette humiliation constitue le premier acte par lequel les esclaves se verront dépossédés de leur identité. Séparés de leurs communautés respectives, les esclaves vont épouser le mode de vie de leurs maîtres petit à petit.
Le statut d’ « Indentured servants » sous lequel travaillaient les premiers esclaves africains et qui leur permettait de recouvrer leur liberté après un certain temps, va progressivement être remplacé par un esclavage sévère au début des années 1700. Dans cet espace géographique dominé par une vision occidentalo-centrée de la beauté, les esclaves intériorisent la rhétorique de leurs propriétaires qui considèrent que leurs cheveux crépus ne sont rien d’autres que de la « laine », les reléguant ainsi au rang des animaux. Dès 1785, des lois sont édictées afin de cristalliser les rapports inégaux entre noires et blanches. Les « lois Tignon » du gouverneur Esteban Rodriguez Miro contraignent les femmes de couleur à couvrir leurs cheveux, ceci afin qu’elles ne leur apportent plus aucun soin esthétique.
En 1865, l’esclavage est aboli. C’est alors que débute la quête pour le « beau cheveu », devenu un prérequis pour bénéficier d’un meilleur statut dans la société américaine. De 1880 à 1954, des techniques, outils et produits vont être commercialisés afin de « dompter » les cheveux crépus et les rendre raides : peignes métalliques pour défrisage à chaud, gamme de produits de soins capillaires développée par Madame CJ Walker, défrisant de cheveux par George E. Johnson.
La volonté de combattre l’aliénation culturelle
La fin des années 1950 voit l’émergence aux États-Unis du mouvement des droits civiques. Près d’un siècle après l’abolition de l’esclave, les Noirs américains se rendent compte que, malgré l’adaptation de leur apparence aux canons de beauté blancs, ils sont toujours considérés comme des sous-hommes. C’est dans le cadre de ces revendications que la lutte pour la dignité raciale va prendre forme.
Au delà d’un effet de mode, la coiffure AFRO a servi d’instrument d’expression d’identité culturelle et sociopolitique aux descendants africains entre les années 60 et 70 aux Etats-Unis.
Rassemblés sous la bannière du « Black Power Movement », des personnalités politiques, culturelles et sportives, ainsi que des groupes, vont construire un nouveau discours valorisant la couleur noire et le cheveu crépu : Malcom X, Nina Simone, Muhammad Ali, etc.
Le plus influent de ces groupes demeure le Black Panther Party dont les fondateurs sont Huey P. Newton et Bobby Seale. Ses membres adoptent un style unique. On les voit défiler dans les rues vêtus de vestes en cuir et de bérets noirs, mais surtout parés de leurs impressionnantes couronnes capillaires appelées « Afro ».
L’Afro devient le symbole de la révolution, l’acceptation de soi, le rejet d’une haine de soi savamment inculquée pendant des siècles de domination. L’Afro n’est pas qu’une simple coiffure, il est l’affirmation d’une identité refoulée et combattue. Plus volumineux est l’Afro – comme celui de Angela Davis -, plus on est apprécié au sein de la communauté. Il est la matérialisation d’un changement de paradigme qui se popularise dans la communauté afro-américaine avec le slogan « Black is Beautiful ».
Interrogée en 1968 sur la signification de ce mouvement, Kathleen Cleaver, l’une des figures les plus importantes du Black Panther Party, déclare :
« La raison de cela, dira-t-on, est comme une nouvelle prise de conscience chez les Noirs que leur apparence physique naturelle est belle et leur plaît. Pendant tant d’années, on nous a dit que seuls les Blancs étaient beaux, que seuls les cheveux raides, les yeux clairs, la peau claire étaient beaux et que les femmes noires essayaient tout ce qu’elles pouvaient – redresser leurs cheveux, éclaircir leur peau – afin de ressembler autant que possible aux femmes blanches. Cela a changé parce que les Noirs sont conscients »
Black is beautiful ! L’Afro, l’affirmation d’une identité refoulée et combattue, l’esthétique matérialisation d’un changement de paradigme qui se popularise dans la communauté afro-américaine.
Après avoir conquis les Etats-Unis, cette esthétique afro-centrée va également s’enraciner dans le « Black Consciousness Movement » pendant l’Apartheid en Afrique du Sud et sera prônée par des leaders tels que Steve Biko. Alors qu’on la croyait éteinte, elle refait surface dans les années 2000. Le « Natural Hair Movement » (Nous préférons utiliser cette appellation car le mot « nappy » fait référence à une qualificatif péjoratif utilisé pendant l’esclavage), un « Black is Beautiful » 2.0, enseigne à la nouvelle génération le motif qui a conduit aux luttes des années 60: l’affirmation de notre identité en tant que personnes noires.
SOURCES :
- Ayana BYRD, Lori L. THARPS, Hair Story : Untangling the roots of black hair in America, St Martin’s Press, 2002.
- Juliana KASUMU, Série de photos intitulée « Irun Kiko » en référence à un style de coiffure créé par les femmes Yoruba, www.julianakasumu.co.uk/irun-Kiko
- Le cas le plus connu d’ « Indentured servant » est celui de Anthony Johnson, un esclave angolais qui deviendra à son tour propriétaire d’esclaves en 1651 après avoir gagné sa liberté. / Philip S. FONER, « History of Black Americans : From Africa to the emergence of the Cotton Kingdom », Oxford University Press, 1980.
- Ayoka LUCAS, « The History of the Afro », www.ebony.com/style/the-history-of-the-afro?amp
- Ariane ROBERT, « This history of the word nappy and its naughty roots », www.blacknaps.org/2011/12/20/is-nappy-a-bad-word/
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