« Il n’y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée », disait Thomas Sankara lors de son discours historique du 8 Mars 1987. 24 ans plus tard, on note quelques progrès, mais surtout d’énormes challenges subsistent en ce qui concerne les droits des femmes sur le continent (notamment dans les zones rurales où les inégalités sont plus fortes). Pour relever ces défis, les associations féminines et féministes se multiplient. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes femmes africaines n’ont plus peur de se revendiquer en tant que féministes. Plus récemment, on relève la mobilisation du collectif des féministes du Sénégal pour l’application de la loi criminalisant le viol et la pédophilie, le 3 juillet 2021. Malgré cette marche progressive vers plus de parité, le féminisme, ce mouvement mal compris, continue de susciter méfiance et adversité aussi bien auprès des hommes que des femmes.« Il n’y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée », disait Thomas Sankara lors de son discours historique du 8 Mars 1987.
Elles s’appellent Floriane, Barry, Eiram, Marie, Esdras, Gisele, Merline. Elles sont originaires du Togo, de la Guinée Conakry, du Cameroun, du Tchad, du Gabon, de la RDC, du Congo, de la Côte d’Ivoire. Le temps d’une discussion, elles ont partagé avec moi quelques bribes de leurs expériences féministes.
- Une perception négative généralisée du féminisme et des féministes
En général, le mot « féminisme » porte un sens péjoratif dans diverses sociétés africaines, notamment celles des féministes qui ont participé à la rédaction de cet article. En effet, il est appréhendé comme un mouvement occidental, une « chose de blancs » dont le but est de détruire les traditions et coutumes africaines. Dans la majorité des traditions et des lois qui ont cours en Afrique, l’homme est considéré comme supérieur à la femme et il a le droit d’exercer sa domination sur elle, parfois de manière violente. C’est la raison pour laquelle le commun des personnes voit en le féminisme un danger pour la stabilité de la société. Le féminisme est communément compris comme une idéologie qui ne veut pas seulement libérer la femme, mais aussi usurper le pouvoir des hommes pour le mettre entre les mains des femmes. Et pourtant, les mouvements de libération des femmes en Afrique existent depuis la période coloniale. Leurs porte-flambeaux ne se définissaient pas en tant que « féministes », mais menaient des actions qui visaient à donner une carrure plus importante à la femme au sein de la société. C’est par exemple le cas de l’Association des Femmes Camerounaises (Assofecam) et de l’Union des Femmes Camerounaises (UFC) qui exigent l’égalité des droits civiques et sociaux entre les femmes et les hommes, dans les années 1940. D’ailleurs, comme le précise la romancière Chimamanda Ngozi Adichie, « L’arrivée du colonialisme s’est accompagnée du christianisme victorien, qui contenait l’idée terrible, blanche, de la soumission de la femme. Et l’idée que la place de la femme était la cuisine et la chambre ».Le féminisme est communément compris comme une idéologie qui ne veut pas seulement libérer la femme, mais aussi usurper le pouvoir des hommes pour le mettre entre les mains des femmes.
Les féministes sont souvent accusées d’être des femmes aigries, des « frustrées du clitoris », qui auraient viré du côté obscur à cause de multiples déceptions amoureuses et de rancœurs accumulées envers les hommes. Ceci justifie le fait que la qualification de « féministe » est souvent perçue et utilisée comme une forme d’insulte. Ainsi, pour les femmes qui ne se considèrent pas comme telles, elles voient en le féminisme une privation des bénéfices (financiers) qu’elles tirent de leur condition. En d’autres termes, les idées reçues sur les féministes font d’elles des « boss ladies », des femmes fortes et indépendantes qui n’attendent pas une quelconque aide matérielle d’un homme.
Par ailleurs, on reproche aux féministes de s’appuyer sur le mouvement pour justifier leur débauche ou leur paresse. Sur les réseaux sociaux, l’on remarque l’abondance de nombreux clichés sur la femme africaine, les mots qui romantisent la souffrance des femmes sur le continent. Ce qui a poussé Bintou Mariam Traoré, journaliste et féministe ivoirienne, à lancer le hashtag #VraieFemmeAfricaine pour tourner en dérision les stéréotypes sur la place de la femme dans les sociétés africaines.
Le féminisme ou les féminismes sont un ensemble de doctrines, de mouvements et d’actions qui préconisent et militent pour l’égalité entre l’homme et la femme. Cette égalité concerne aussi bien les droits et les rôles exercés par ces derniers au sein de la société. En Afrique, les femmes font encore face à de nombreuses discriminations. Par exemple, dans le secteur agricole, les femmes représentent près de 70% de la main d’œuvre et produisent 80% des denrées alimentaires que nous consommons. Et pourtant, elles n’ont pas accès à la terre autant que les hommes.
- Un défi : Améliorer la compréhension du féminisme en Afrique
Etre féministe en Afrique et l’assumer, c’est s’exposer à l’agressivité et aux injures de ses interlocuteurs. D’ailleurs, les organisations locales qui opèrent dans le cadre de la défense des droits des femmes et leurs activistes préfèrent ne pas se placer sous le label féministe afin de ne pas faire fuir les partenaires. C’est un constat posé par mes interlocutrices du Gabon et du Togo. Ces associations se présentent comme défenseures des droits humains, activistes sociales, humanistes, mais jamais féministes. Dans un entretien avec la Revue Tiers-Monde, la sociologue Fatou Sow l’expliquaient en ces termes : « Des femmes se battent pour améliorer leur condition, tout en récusant un féminisme que d’autres, et non des moindres, revendiquent ».
Dans des environnements encore plus traditionnels (mais surtout islamiques), on relève la difficulté pour certaines féministes de questionner la condition féminine au risque de recevoir des paroles telles que « l’école t’a rendue folle ». Les propos sexistes et misogynes sont communs dans leur entourage et les relever continuellement concourrait à briser des relations familiales ou amicales. Ce qui pousse certaines d’entre elles à se museler et à être actives principalement sur internet.
L’on déplore la pauvreté ou la non vulgarisation des contenus existants sur le féminisme (africain). Un bon nombre de personnes aujourd’hui ont pris connaissance du féminisme à travers les opinions et échanges sur les réseaux sociaux ; des débats dans lesquels il faut constamment expliquer aux gens que le féminisme vise l’épanouissement des femmes et on la domination des hommes. Les difficultés à mener une réelle action féministe reposent sur la connaissance insuffisante des réflexions autour de la pensée féministe. Au Gabon par exemple, l’on constate que les populations ne sont pas encore prêtes à comprendre les problématiques liées au féminisme. Même si l’on peut noter de grandes avancées sur le plan légal (nouveau code civil qui consacre l’égalité entre l’homme et la femme), les traditions et les coutumes continuent d’avoir un poids considérable. Afin que l’action féministe franchisse ce cap, il est nécessaire d’éduquer les populations au féminisme, notamment sur la perception qu’elles ont de la journée du 8 mars.
En définitive, on note également que malgré la peur et l’animosité que suscitent les féministes et les combats qu’elles mènent, comme Fatou Sow, elles portent et revendiquent fièrement cette étiquette. Pour avoir un réel impact social, l’action féministe doit devenir politique en Afrique. Les auteures de la charte des principes féministes pour les féministes l’ont clairement rappelé : « En nous appelant ‘féministes’, nous politisons la lutte pour les droits de la femme, nous remettons en question la légitimité des structures qui maintiennent les femmes assujetties et nous développons des outils en vue d’une analyse et de la mise en place de mesures transformatrices ».Pour avoir un réel impact social, l’action féministe doit devenir politique en Afrique
SOURCES :
- Ndengue, Rose. « Mobilisations féminines au Cameroun français dans les années 1940-1950 : l’ordre du genre et l’ordre colonial fissurés », Le Mouvement Social, vol. 255, no. 2, 2016, pp. 71-85, https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2016-2-page-71.htm
- Agnès Faivre, « Droits des femmes en Afrique : encore un long chemin à parcourir », Le Point Afrique, Mars 2017, https://www.lepoint.fr/afrique/droits-des-femmes-en-afrique-encore-un-long-chemin-a-parcourir-11-03-2017-2111138_3826.php
- « Mouvements féministes en Afrique », Revue Tiers Monde, vol. 209, no. 1, 2012, pp. 145-160, https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2012-1-page-145.htm
- Angeles Jurado, « ¿Cómo se representa el feminismo en África? », Esglobal, Décembre 2018, https://www.esglobal.org/como-se-representa-el-feminismo-en-africa/
- Charte des principes féministes pour les féministes d’Afrique, https://awdf.org/wp-content/uploads/AFF-Feminist-Charter-Digital-%C3%A2%C2%80%C2%93-French.pdf?lang=fr
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