“Notre volonté de lutte est inébranlable. Nous connaissons aujourd’hui toutes sortes de sacrifices et d’humiliations, mais nous savons que, cela débouchera inéluctablement, vers un Kamerun libéré du néocolonialisme, et de la gangrène impérialiste.” – Ernest Ouandié
Au panthéon des héros du panafricanisme, de la lutte contre l’impérialisme et le néocolonialisme, trônent Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah et bien d’autres. Hélas, un des résidents de ce lieu de repos des immortels, est souvent laissé dans la pénombre. Peu connu, Ernest Ouandié mérite qu’on braque les projecteurs de l’Histoire sur lui, afin que tout le monde puisse s’inspirer de son héroïsme.
Un fervent militant contre l’hégémonie française
Ernest Ouandié vient au monde en 1924,dans le Cameroun colonial français. Il grandit à Bangou, un village Bamiléké de l’Ouest Cameroun, d’où sont originaires ses parents. Le petit Ernest sera très tôt bercé par les injustices du colonialisme. En 1927, alors qu’il n’a que 3 ans, son père est enrôlé de force et doit endurer les travaux forcés dans les plantations du colonat bourgeois. Il n’en reviendra qu’en 1929, presque mourant.
Après ses études, il sera orienté vers l’enseignement, et deviendra ainsi instituteur en 1944. Quelques années plus tard, c’est cet homme meurtri par les monstruosités du colonialisme, qui adhère à L’UPC (Union des populations du Cameroun). Ce parti créé le 10 Avril 1948, dont le Secrétaire Général n’est autre que Um Nyobe, est panafricaniste. Non seulement il proteste pacifiquement contre l’exploitation, les injustices, les humiliations du colonialisme français, mais aussi demande la fixation d’un délai, pour l’octroi de l’indépendance au Cameroun. Il n’en faut pas plus pour courroucer la France qui, voulant absolument maintenir le Cameroun vassalisé, voit d’un mauvais œil, l’arrivée de ce nouveau venu sur la scène politique. Sentant qu’il y a péril en la demeure, l’administration coloniale va mener une véritable guerre psychologique contre les leaders de l’UPC. Ernest Ouandié sera muté 5 fois en 6 ans.
Militant transcendant, Ernest Ouandié est élu Vice-Président du parti, au 2e congrès national de l’UPC organisé en 1952. Intrépide, il force l’admiration du public quand il fait pièce à Léopold Sédar Senghor lors d’une conférence de presse, que ce dernier tient le 3 septembre 1953 à Douala. L’ex-Président sénégalais était en tournée au Cameroun pour fustiger l’indépendance et prôner la sujétion. Orateur attique, leader charismatique, Ouandié est de plus en plus populaire.
Fin 1954, la grande majorité des camerounais est gagnée par la fièvre upéciste, Roland pré est alors nommé Haut-Commissaire au Cameroun avec une mission claire: Stopper cette fièvre populaire. La stratégie de la tension qu’il appliquera, aura pour corollaire direct les émeutes de mi-Mai 1955 qui, bestialement réprimées par la France, feront des centaines voire des milliers de morts. Accusée d’avoir orchestré ces émeutes, l’UPC est interdite le 13 Juillet 1955. Cette interdiction force alors le parti à entrer dans le “maquis” (clandestinité). Activement recherché, Ouandié s’exile à Kumba dans le Cameroun britannique.
En Avril 1956, Pierre Messmer remplace Roland Pré. Cet ancien militaire va essayer de rallier les leaders de l’UPC au projet français. Mais irréversiblement intègres, ils vont lui opposer une fin de non-recevoir. Harassés par la répression barbare française et le silence complice de l’Onu, les membres de l’UPC optent finalement lors de cette année 1956, pour la lutte armée. Le pays Bassa, puis le pays Bamiléké sombrent alors dans la guerre totale. À travers cette dernière, certains historiens accusent la France d’avoir perpétré un génocide contre les Bamiléké.
La lutte dans l’exil
Après son séjour à Kumba, Ouandié établit des bases du parti à Accra et Conakry. Dans le but d’approvisionner les upécistes en armes, il fait la navette entre Khartoum et le Caire où se trouvent certains membres du parti. C’est lors d’un de ses séjours au Caire en 1961, qu’il rencontre un certain Nelson Mandela, à qui il va conseiller d’opter pour la lutte armée s’il veut abolir l’apartheid en Afrique du Sud.
La guerre fait rage au Cameroun, l’armée française massacre des dizaines de milliers de camerounais. Après les assassinats par la France d’Um Nyobe en 58, et de Felix Moumié en 60, Ernest Ouandié prend la tête de l’UPC. Entre temps, c’est ce Cameroun empêtré dans la guerre, qui est devenu indépendant le 1er Janvier 1960. Cependant, Ouandié voit en cette indépendance factice un stratagème de la France, pour perpétuer son hégémonie à travers le nouveau Chef d’Etat désigné, Ahmadou Ahidjo. Ouandié rentre au Cameroun en juillet 1961, décidé à poursuivre la lutte armée.
Le sacrifice ultime d’Ernest Ouandié
Après son retour, celui que ses hommes surnomment “Camarade Émile”, prend la tête de l’ANLK (Armée Nationale de Libération du Kamerun). Il est un chef militaire imbu de ses responsabilités, qui ne lésine sur aucun effort pour obtenir la victoire sur Ahidjo et la France. Malgré le manque d’armes, par son sens de la stratégie militaire et son charisme, il mène ses troupes vers quelques succès. Ceux que l’administration coloniale avait choisi d’appeler avec morgue “maquisards”, mais que nous appelons “résistants”, contrôlent une bonne partie du pays Bamiléké et du Moungo.
Malgré la férocité de l’armée néocolonialiste bien équipée, le conflit s’enlise. Dès 1965, Ahidjo charge alors Mgr Ndongmo de négocier la paix avec Ouandié. Le prélat le rencontre à plusieurs reprises. Toutefois, les discussions piétinent sur les prérequis pour déposer les armes, car Ouandié doute de la bonne foi d’Ahidjo qu’il qualifie de “valet de l’impérialisme”. Le camarade Émile exige notamment que, le cordon ombilical qui unit toujours, le Cameroun oriental à la France, soit tranché. Après presqu’une décennie de clandestinité, la bête noire du régime de Yaoundé est finalement arrêtée le 19 août 1970. Il est torturé sans relâche pendant plus de 4 mois, dans les geôles du régime Ahidjo. Malgré les humiliations innommables, la douleur incommensurable, cette barbarie inqualifiable, le camarade Émile est resté inébranlable. Il se mure dans le silence.
Le 28 décembre 1970, s’ouvre le procès dit “de la rébellion” devant le tribunal militaire de Yaoundé, au terme duquel Ouandié est condamné à mort. Son exécution est programmée pour le vendredi 15 janvier 1971 à Bafoussam. Le jour fatidique, marchant vers le peloton d’exécution, Ernest Ouandié criera aux journalistes présents: « Dites à ma femme (Marthe) et aux enfants, que je n’ai pas trahi. »
Lors de son exécution, c’est un Ernest Ouandié souriant, qui refuse qu’on lui bande les yeux, il déclare qu’il souhaite voir la mort en face. Il s’écrie “Vive le Cameroun”, avant qu’une rafale de balles s’abatte sur lui et le tue. Ahidjo, en exécutant Ouandié avec la bénédiction de la France, voulait l’éliminer aussi bien physiquement qu’idéologiquement. Il ignorait sûrement, que tuer son adversaire est souvent le meilleur moyen de l’immortaliser.
SOURCES:
- ”Ernest Ouandié: le révolutionnaire” de Louis Kamga Kamga
- ”La guerre du Cameroun, l’invention de la Françafrique” de Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa.
- ”Main basse sur le Cameroun” de Mongo Beti
- ”Ndeh Ntumazah, a Conversational Auto Biography” de Nde Ntumazah.
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