Histoire

Steve Biko : le tragique destin d’un militant pas comme les autres

Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais Steve Biko était une véritable menace pour le régime d’apartheid, en voulant libérer son peuple de la peur qui entravait ses actions et l’empêchait de réaliser ses aspirations. Bien que se revendiquant non-violent, il apparaît comme plus radical que l’ANC. Cet homme a eu une influence profonde sur le développement des luttes contre l’apartheid et les luttes actuelles en Afrique du Sud. 

« L’arme la plus puissante entre les mains de l’ oppresseur est l’esprit de l’opprimé. » – Steve Biko

La naissance d’une figure

Stephen Bantu Biko est né en 1946 à Tylden, dans la province du Cap Oriental. Il devient rapidement la figure la plus importante des mouvements de libération en Afrique du Sud. Son engagement politique a pris forme dans les années 1960, dans le contexte de la mise en place de la loi sur « l’éducation bantoue », promulguée en 1953, officialisant la ségrégation des écoles et universités.

En 1966, Steve Biko commence ses études de médecine à l’université du Natal, et s’implique dans les activités organisées par le Syndicat national des étudiants sud-africains (NUSAS), une organisation estudiantine largement dominée par des blancs et jugée trop libérale et conciliante dans son credo multiracial. Irrités, les étudiants noirs finissent par se désolidariser du syndicat pour fonder en 1969 avec des militants noirs du PAC, l’Organisation des étudiants sud-africains (South African Students Organisation, SASO). Cette dernière s’attire alors les foudres des libéraux Blancs qui l’accusent de reproduire les schémas racistes du régime d’apartheid. Loin de renforcer les divisions, la SASO cherche à contrer la discorde entre les Noirs que nourrit le régime.

Couverture d’une lettre d’informations de la SASO, 1973. ( Source : Steve Biko Foundation )

Dirigée par Steve Biko, la SASO fait alliance avec un autre regroupement d’associations militantes, la Convention du peuple Noir (Black People’s Convention, BPC). Cette organisation aura pour but de s’atteler immédiatement aux problèmes que rencontrent les travailleurs Noirs, dont les syndicats ne sont pas reconnus par la loi. 

Conseil représentatif des étudiants noirs de l’université du Natal. ( Source : Steve Biko Foundation )

La Conscience Noire

” La conscience Noire est un état d’esprit et un mode de vie, le cri le plus positif à avoir émergé du monde Noir depuis longtemps. Son essence est la prise de conscience par l’homme noir de la nécessité de s’organiser collectivement avec ses frères autour de la cause de leur oppression, leur peau noire, et d’agir en tant que groupe afin de se délivrer des chaînes qui les maintiennent dans une condition de servitude perpétuelle ” – Steve Biko

Ce mouvement est décrit par Steve Biko comme un état d’esprit et un mode de vie qui rejette les valeurs qui font des Noirs des étrangers sur leur propre terre, qui promeut l’autodéfinition plutôt que la définition par les autres, et qui considère l’unité de groupe comme la clé pour prendre le pouvoir, politiquement et économiquement. Ayant pour but l’indépendance des Noirs, Conscience Noire propose de construire une théorie politique permettant de préparer le peuple à passer à l’action. Pour y parvenir, il convient de former des intellectuels pétris de la culture populaire, prêts à mener des actions d’éducation autour d’eux.

En 1973, Steve Biko et d’autres dirigeants de la SASO et de la BPC sont arrêtés et assignés à résidence. Biko décide alors d’interrompre ses études de médecine à l’université du Natal. Au moment de son arrestation, il est sous le coup d’une mesure de « bannissement ». Autrement dit, il ne peut pas sortir de la ville dans laquelle il est cantonné, il est interdit de parole publique et de publier ses écrits et ne doit pas rencontrer plus d’une personne à la fois, à l’exception des membres de sa famille. À cela s’ajoute la présence continuelle des forces de l’ordre devant sa résidence.

Bikonscious

Ces interdictions n’empêchent pas Biko de s’impliquer dans les programmes locaux d’aide. En effet, bien qu’il soit confiné dans sa ville d’origine, King William’s Town, où il vit avec sa famille, il établit des bureaux pour les Black Community Programmes (BCP) et remplit les fonctions de responsable de section. L’organisation se concentre sur des projets concernant la santé, l’éducation, la création d’emploi et d’autres domaines ayant trait au développement de la communauté.

A une époque où tous les partis de la résistance sont passés dans la lutte clandestine et organisent depuis les pays voisins une insurrection armée contre le régime de l’apartheid, le Mouvement de la Conscience Noire était la seule organisation de lutte contre l’apartheid visible dans l’espace public. Du fait de sa stratégie non-violente, mise en place dans le but de préserver une marge de manœuvre légale pour la résistance.

Voici l’une des rares interviews de Steve Biko, dans laquelle il définit le principe de base de la Conscience Noire.

La révolte de Soweto

Le 17 mai 1976, plus d’un millier de lycéens de Soweto lancent un mouvement de grève contre une loi qui impose l’enseignement de la langue Afrikaans dans les écoles noires. Un mois plus tard, le 16 juin, une manifestation coordonnée à partir de plusieurs établissements scolaires par des leaders proches du Mouvement de la Conscience Noire, dont la moyenne d’âge ne dépasse pas vingt ans, est réprimée dans le sang.

Ce jours-là près de 20 000 étudiants ont participé aux manifestations. Un bilan officiel fait état de 575 morts et de centaines de blessés. Le gouvernement se résolu en juillet, à retirer sa loi relative à l’enseignement de l’afrikaans. ( Source : Steve Biko Foundation )

La fin 

Steve Biko est arrêté en août 1977, après avoir bravé l’assignation à résidence qui lui avait été assénée après que des lycéens ont protesté contre l’enseignement obligatoire en afrikaans au cours du soulèvement de Soweto, qui fût brutalement réprimé par le régime d’apartheid.

Steve Biko meurt le 12 septembre 1977, à l’âge de 30 ans, presque un mois après son arrestation, à la suite de tortures infligées en détention, après avoir été transporté de Port Elizabeth à Pretoria. Un trajet de 1 200 km, inconscient, à l’arrière d’une Land Rover. Malgré les preuves de coups et d’une importante lésion cérébrale, les autorités déclarent tout d’abord que Steve Biko est décédé des suites d’une grève de la faim qui aurait duré six jours, avant d’évoquer la possibilité d’une chute lors d’une lutte avec cinq membres de la police en charge de l’interroger.

Steve Biko a été transporté à l’arrière d’un Land Rover, nu et sans surveillance médicale à plus de 1 200 km de Port Elizabeth à Pretoria Central Maximum Security. ( Source : Daily Dispatch )

Steve Biko est le 42e détenu mort entre les mains de la police de sécurité de l’apartheid et son décès va être suivi, en raison du durcissement des méthodes policières dans les années 1980, de nombreux autres assassinats en détention. Sa mort relayée par la presse, déclenche un scandale international et entraîne le renforcement d’un embargo sur les armes à l’encontre de l’Afrique du Sud.  En réalité, Steve Biko représentait le plus grand danger qui soit pour un régime d’apartheid qui tentait de contrôler la population par peur, la torture et le caractère imprévisible de la violence étatique.

Des milliers de personnes avaient convergé vers sa ville natale le jour de ses funérailles, et des milliers d’autres en avaient été empêchées par les barrages de police. ( Source : Steve Biko Foundation)
Credit Photo : Photograph by Drum Photographer  BAHA
 Les personnes en deuil se réunissent pour rendre un dernier hommage alors que le corps de Steve Biko repose à l'état chez lui avant les funérailles, en présence de 20 000 personnes en deuil à King William's Town

Le journaliste britannique qui fut aussi son ami, Donald Woods, auteur de son autobiographie, déclarait ceci après sa mort :

« Pendant les trois années durant lesquels j’ai grandi à son contact, ma conviction sur le fait qu’il était le leader le plus important du pays n’a jamais vacillé. Il était tout simplement l’homme le plus grand qu’il m’ait été donné le privilège de connaître. La sagesse, l’humour, la compassion, la compréhension, un intelligence brillante, le désintéressement, la modestie, le courage, il avait tous ces attributs. »

Steve Biko a marqué l’histoire et demeure dans la mémoire de tout un peuple, ceci même au delà des frontières sud-africaines. Il s’est sacrifié pour la liberté de tous, pas seulement celles des sud-africains. Steve Biko avait été, selon Nelson Mandela, le « premier clou dans le cercueil de l’apartheid ». Premier clou du cercueil de l’apartheid, Steve Biko s‘est battu jusqu‘à son dernier souffle pour la liberté et l‘émancipation des noirs sud-africains.

Emouvante photo de famille de Mme Biko et ses enfants dont l’un fut prénommé Samora, en hommage à Samora Machel, panafricaniste et premier président du Mozambique indépendant en 1975. ( Source : Daily Dispatch )

Il vaut mieux mourir pour une idée qui survivra, plutôt que de vivre pour une idée qui finira par mourir. – Steve Biko

Steve Biko.

Quel regard portez-vous sur le combat de Steve Biko ? Promouvoir la non-violence comme réponse a l’injustice, n’est-ce pas utopique dans un monde où la violence est partout ? Quel regard portez-vous sur l’état actuel de la société sud-africaine ? 41 ans après son assassinat, le combat de Steve Biko a-t-il porté ses fruits ? Les Noirs ont conquis le pouvoir politique, mais de façon évidente, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les plus grands gagnants de la fin de l’Apartheid restent les firmes occidentales, qui contrôlent une grande partie de l’économie Sud-africaine, détenue par la minorité blanche. 

Référence :

  • Steve Biko foundation
  • Steve Biko, Conscience Noire
  • Donald Woods, Vie et Mort de Steve Biko
  • Amzat Boukari-Yabara, Africa Unite 

Documentaires et films :

  • Le cri de la liberté, 1987
  • The Life and Death of Steve Biko, 1977
  • Come back, Africa, 1960
  • Tsietsi My Hero, 2006

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