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Les enfants, ces innocents qui paient un lourd tribut au capitalisme

Téléphones, bijoux en or, chocolat… Des produits que nous consommons au quotidien sans pour autant nous préoccuper de leur provenance ou de celle de leurs composantes. Et pourtant, notre bien-être passe souvent par l’exploitation de ceux dont la protection doit être mise au centre de nos plus fortes préoccupations : Les enfants.

 

Le travail des enfants est un phénomène caractéristique des régions les plus pauvres de la planèteCLIQUEZ POUR TWEETER

Le travail des enfants est un phénomène caractéristique des régions les plus pauvres de la planète que sont l’Asie et le Pacifique (78 millions), l’Afrique subsaharienne (59 millions), l’Amérique du Sud et les Caraïbes (13 millions), le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (9.2 millions). Les tâches réalisées peuvent recouvrir plusieurs formes qui vont du travail domestique à la traite des enfants. Elles concernent toute activité qui prive un enfant de son enfance, de son potentiel, de sa dignité et qui nuit à sa santé physique et mentale. L’Organisation Internationale du Travail dénombre à l’échelle mondiale 168 millions d’enfants âgés de 5 à 17 ans forcés de travailler, tandis que 85 millions d’entre eux exercent les pires formes du travail des enfants. Même si la tendance est en baisse depuis l’an 2000, plusieurs secteurs en restent affectés : l’agriculture, les mines, les services, l’industrie. De multiples multinationales à l’instar des géants du numérique que sont Apple et Samsung, des producteurs de friandises comme Nestlé et Ferrero, ou la marque d’articles sportifs Nike, ont déjà été accusées par des ONGs telles que Amnesty International ou des associations de consommateurs de ne pas contrôler suffisamment leur chaîne d’approvisionnement et d’encourager par conséquent l’exploitation d’enfants dans les Pays en Développement.

L’Afrique et le travail des enfants : Une région à forte prévalence  

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=8hmEZ_hQuUA&w=560&h=315]

Dans l’extrait vidéo ci-dessus, nous pouvons voir deux enfants, Dorsen et Richard, âgés respectivement de 8 et 11 ans, qui travaillent toute la journée dans une mine de cobalt en RDC pour un salaire quotidien d’environ 9 centimes (la devise n’est pas précisée dans l’extrait). Le travail exécuté se fait dans des conditions dangereuses (aucune combinaison de protection), insalubres (puits creusé à la main), autoritaires et brutales (les enfants sont menacés et frappés lorsqu’ils n’effectuent pas bien le travail qui leur est confié).

« Quand je me lève chaque matin, je me sens mal car je sais que je vais devoir y retourner »,

tels sont les mots de Richard sur le visage duquel se lit la tristesse de ne pas avoir une enfance normale. Le cobalt est un métal très prisé dans la production batteries et de piles rechargeables. Il est important de préciser que la RDC recèle la moitié des réserves mondiales de Cobalt mais est classée comme le pays le moins développé du globe.  En 2016, un rapport de Amnesty International accusaient 16 grands groupes internationaux dont Apple, Samsung, Microsof et Sony de ne pas suivre un protocole de vérification soigneux afin de s’assurer qu’ils n’utilisaient pas dans la fabrication de leurs produits du cobalt extrait par des enfants dans les mines du Congo.

 

Ces images donnent un aperçu de la situation sur le continent africain, l’un des plus touchés par ce fléau. Dorsen et Richard font partie des 80 millions d’individus dont l’âge varie entre 5 et 14 ans et qui sont affectés par l’exploitation des enfants. Il s’agit d’un phénomène qui freine le développement humain de l’Afrique. Il trouve sa source dans plusieurs raisons :

  • La pauvreté qui oblige les familles à avoir recours à tout moyen susceptible d’augmenter leurs revenus ;
  • La mort d’un parent ou de personnes qui apportent un soutien financier aux familles. Certains jeunes se retrouvent très tôt chargés de responsabilités et sont obligés de faire de petits travaux afin de subvenir aux besoins de leurs proches ;
  • Un accès à l’éducation médiocre ;
  • Des cadres politique et juridique faibles et la porosité des frontières qui accentuent le trafic des enfants ;
  • L’exode rural qui expose les enfants à des risques plus grands ;
  • Le besoin en main d’œuvre soumise et bon marché.

Une grande partie de ces enfants se retrouve dans le secteur informel, un secteur peu régulé par les pouvoirs publics. Ils sont donc à la merci complète de ceux qui les exploitent. Ils exécutent le plus souvent des tâches qui mettent leur vie en péril : port de charges lourdes, manipulation de produits chimiques, usage d’outils tranchants. Ces travaux ont des effets négatifs aussi bien sur leur santé physique que mentale. Dans un rapport produit en 2011 sur le travail des enfants dans les mines d’or artisanales au Mali, Human Rights Watch rapporte que les enfants interrogés souffrent de maladies diverses : douleurs aux articulations, à la tête, à la nuque, toux et autres maladies respiratoires.

Les secteurs des mines, de l’agriculture, de l’industrie et de l’artisanat ne sont pas les seuls où l’on fait recours à une main d’œuvre infantile. Selon certaines pratiques coutumières en Afrique, des enfants sont souvent mis au service de parents proches ou éloignés afin de permettre à leurs familles de gagner quelques revenus nécessaires à leur survie. C’est par exemple le cas des « Mulezi » ou petites bonnes (en mashi, une langue de la RDC). Il s’agit de jeunes filles corvéables à souhait. Elles sont chargées de réaliser toutes les tâches domestiques que leur confiera la maîtresse de maison. Ces petites bonnes sont exposées à la maltraitance, au harcèlement sexuel, au viol et à la prostitution. Par ailleurs, l’on considère également comme enfants exploités, les apprentis mécaniciens, bergers et autres.

Un phénomène difficile à évaluer

Sur le plan international, comme le constate Francis Gendreau, l’ampleur des faits qui tombent sous le coup de ce que l’on appelle « travail des enfants » est difficile à évaluer au vu de deux éléments : l’âge considéré et les situations qui caractérisent les tâches exécutées.

Malgré l’existence de textes internationaux encadrant la protection de l’enfance tels que la Déclaration des droits de l’enfant (1959) ou la Convention concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi (1973), il faudra attendre 1989 avec la Convention Internationale sur les Droits de l’Enfant pour avoir une définition explicite du terme « enfant ». D’après ce traité international, il s’agit de:

« […] tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ».

Cette définition sera également retenue par la Charte africaine des droits et du bien-être des enfants (1990), ainsi que par la Convention sur les pires formes de travail des enfants (1999). D’après la Convention de 1973, l’on peut constater que l’âge minimum est fonction de la qualité du travail à effectuer. En d’autres termes, plus la tâche à effectuer est dangereuse, plus l’âge de l’individu doit être élevé. Toutefois, l’article 2 en son troisième alinéa fixe une base que tout membre ayant ratifié la convention doit respecter dans ses législations sur le travail : « l’âge auquel cesse la scolarité obligatoire, ni en tout cas à 15 ans ». Des limites à ce principe peuvent être relevées :

  • Au niveau du quatrième alinéa du même article qui donne la possibilité « à tout membre dont l’économie et les institutions scolaires ne sont pas suffisamment développées » de ramener cet âge minimum d’admission à l’emploi à 14 ans. C’est le cas du Cameroun, du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire.
  • Au niveau du premier alinéa de l’article 3 qui prévoit que, pour « tout type d’emploi ou de travail qui, par sa nature ou les conditions dans lesquelles il s’exerce, est susceptible de compromettre la santé, la sécurité ou la moralité des adolescents», l’âge minimum doit être fixé à 18 ans. Sous certaines conditions, cet âge peut être ramené à 16 ans (Article 3 alinéa 3). Néanmoins, c’est au plan national que seront déterminés les types d’emploi visés par ce paragraphe (Article 3 alinéa 2).
  • Au niveau de l’article 7 qui envisage la catégorie des travaux dits « légers» dans laquelle chaque partie à la convention, à travers sa législation, pourra permettre l’emploi de personnes âgées de 13 à 15 ans. Sous certaines conditions, cette tranche d’âge pourra être substituée par celle de 12 à 14 ans. C’est le cas du Soudan et de l’Egypte.
Age minimal d’admission à l’emploi selon la Convention de 1973

Quant aux situations dans lesquelles les tâches sont exécutées, elles ne permettent pas de définir clairement la frontière entre ce qui peut être considéré comme « travail des enfants » et les tâches qui n’ont réellement aucune incidence sur le développement physique et psychique de ces personnes. Pour l’OIT, « les tâches qui se limitent à aider les parents à la maison, dans l’entreprise familiale sous certaines conditions, gagner un peu d’argent de poche en dehors des heures de cours ou pendant les vacances scolaires ne sont pas considérées en tant que telles comme des tâches relevant du travail des enfants ». Cette disposition n’est pas claire et laisse libre cours à l’interprétation. Toutefois, l’article 3 de la Convention de 1999 énumère un ensemble de faits que les membres signataires doivent éradiquer par des mesures immédiates et efficaces (esclavage ; ventre et traite des enfants ; servitude pour dettes ; servage ; recrutement forcé d’enfants en vue de leur utilisation dans les conflits armés, dans le secteur de la prostitution, dans la production et le trafic de stupéfiants…). De plus, Gendreau propose quelques critères pour déterminer si un travail est une forme d’exploitation de l’enfant ou non : la durée du travail, la rémunération et les conditions de travail.

A travers ce qui précède, nous remarquons aisément que les instruments de Droit International qui encadrent la protection des enfants sont très souples en ce sens qu’ils laissent le soin aux États signataires de fixer eux-mêmes le cadre juridique du travail des enfants en fonction de leurs contextes économique et social. C’est ce qui conduit Gendreau à affirmer que ces traités internationaux sont caractéristiques « de la paralysie des institutions internationales soumises aux intérêts des plus forts et du cynisme d’États qui sont censés œuvrer pour le bien de leurs populations mais qui promeuvent ou entérinent des textes permettant à l’exploitation des enfants de se perpétuer ». Les politiques menées aux niveaux international et national ne visent pas l’éradication complète de ce fléau mais plutôt sa réduction.

Dans les Pays en Développement tels que le Mali, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso ou le Nigéria, l’on peut noter un engagement politique insuffisant de la part des pouvoirs compétents et la corruption qui aggrave l’exploitation des enfants. Le secteur industriel est le plus contrôlé tandis que les secteurs qui font partie du milieu informel comme l’agriculture – secteur qui emploie le plus d’enfants – ne font pas l’objet d’inspections régulières. Rendre l’éducation accessible, gratuite et obligatoire reste l’un des principaux moyens de lutte contre l’exploitation des enfants. L’on ne peut pas non plus compter sur les déclarations d’intention des grands groupes industriels qui disent imposer à leurs fournisseurs « de respecter les Droits de l’Homme ainsi que toutes les lois sur le travail ». Quant à nous, consommateurs des produits de plusieurs multinationales interpellées à propos de ces activités, nous devons, par des actions coordonnées, les obliger à contrôler leur chaîne d’approvisionnement. Nous devons savoir qu’en consommant des produits qui résultent de l’exploitation des enfants, nous entretenons nous-mêmes ce phénomène.

SOURCES :

 

 

 

Alice MALONGTE

Alice MALONGTE est Consultante au sein du Cabinet STRATEGIES ! SARL (Douala, Cameroun). Elle porte un grand intérêt à l'Histoire, aux Peuples et cultures du continent africain.

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