Histoire

Aire culturelle Yoruba : le peuplement du pays Shabe au Bénin

Les Yoruba sont l’une des communautés les plus importantes et influentes de l’Afrique. Ils sont aujourd’hui répartis un peu partout dans le monde avec une forte concentration en Afrique sub-saharienne et en Amérique Latine. Le Bénin, en Afrique de l’ouest, est le second pays où l’on retrouve les Yoruba. Ils y sont en de sous-groupes ethniques parmi lesquels les Shabe-Opara dans le département des Collines. Quel est l’origine du peuple Shabe et comment s’est effectuée l’occupation de leur actuel territoire ?

Les shabe et la présentation de leur territoire

Initialement étendu de part et d’autre du fleuve Opara, le pays Shabe est de nos jours réduit uniquement à la partie occidentale de l’ancien royaume. En effet, suite à l’invasion européenne de 1894, le fleuve Opara est devenu la frontière entre les colonies française et anglaise, et les Shabe ont perdu avec le temps l’importante partie de leur territoire située sur la rive gauche du fleuve, au profit de l’actuel Nigéria. Même si des descendants de certains des anciens habitants de cette partie de l’ancien royaume y demeurent toujours, la majorité d’entre eux ont traversé le fleuve pour rejoindre leur peuple, et quelques uns ont trouvé refuge dans d’autres royaumes Yoruba de l’actuel Nigeria. L’appellation Shabe est une contraction de Shabe-Opara dérivée du fleuve, et utilisée pour désigner le territoire, le peuple, et le groupe ethnique.

Les Shabe appartiennent à l’aire culturelle Yoruba de laquelle ils ont hérité entre autres la langue et les traditions. Leur territoire situé entre les 8eme et 9eme parallèles, s’étend du fleuve Ofe au fleuve Oyan de l’ouest à l’est, et est limité au nord par le pays baatonu au niveau de la latitude de Tchaourou, et au sud par le royaume de Kétou.

Situation géographique du pays shabe (Copyright : Fond topographique 1992, Travaux de terrain 2007)

Occupation de l’aire culturelle Shabe

Situé dans la partie occidentale de l’espace Yoruba subsaharienne, le pays Shabe a enregistré au fil des années l’occupation de quelques groupes ethniques minoritaires tels que les Mahi et les Gbasan, implantés par endroit sur le territoire. Toutefois, notons que les Shabe demeurent majoritaires et que ce sont les différents mouvements migratoires à l’origine de leur peuplement qui feront l’objet de ce billet.

Dans leur article intitulé « Phénomènes migratoires et question du peuplement dans l’espace Yorùbá : une approche historique et archéologique de l’occupation du pays Shabe », Nestor Labiyi, Christophe Assogba, et Andrew Gurstelle affirment que le peuplement du pays Shabe a été marqué par trois principaux flux migratoires. Chronologiquement, il s’agit de :

  • La phase pré-Oduduwa,
  • Le peuplement par Onishabe, lié à Oduduwa,
  • Le peuplement lié à Baba Gídàí.

Le peuplement pré-Oduduwa du pays Shabe

Présenté comme le plus ancien du territoire shabe, il a pu être déterminé grâce aux travaux d’éminents archéologues dont les fouilles ont permis de retracer des témoins matériels de cette époque tels que des statuettes en pierre ou en argile cuite, et quelques pipes. Ces objets exhumés du sol présentent de fortes similitudes avec d’autres vieux de plusieurs siècles avant J-C qui ont été découverts à Nok dans le plateau de Jos au Nigéria. L’équipe archéologique du Bénin a effectué plusieurs recherches dont les résultats constituent des indices de présence d’un établissement humain vieux de plusieurs siècles avant J-C dans la région shabe. En 1984, 5 sculptures vraisemblablement de têtes d’animaux à l’apparence anthropomorphe ont été ramassées sur un site dont le sol est jonché de tessons de poterie et fossiles de tas d’ordure, à Bidodjato, dans la commune de Ouèssè.

Plusieurs tombes anciennes et des tumulus découverts à Gogoro, Ouèsse, Worogui et Tchaourou renforcent l’idée d’un peuplement proto-yoruba dans ces régions du pays Shabe. Des verres fondus aussi y ont été découverts dans des jarres, sans oublier des perles anciennes dont les ateliers de fabrication sont semblables à ceux retrouvés à Ilé Ifè. On dit de ce peuplement qu’il est relié aux proto-yoruba Ojudu installés entre les fleuves Ouémé et Oyan. Ils s’organisaient en de petits groupes d’Hommes très fortifiés, dirigés chacun par un chef appelé Olu ilu, ou Ola ilu. On leur doit la création de plusieurs villages tels que :

  • Ile Shabe, par Ola Idadu,
  • Kaboua, par Olu Sinika,
  • Jabata, par Olu Kabe,
  • Kokoro, par Ola Yembe,
  • Kilibo, par Olata.

Le territoire occupé par ces différents groupes a été conquis plus tard entre le XIIIeme et le XIVeme siècle par le prince Onishabè, marquant ainsi la fin de l’ère pré-Oduduwa.

La grande invasion du prince Onishabè

Shabe est cité dans les histoires de Kétou et Oyo parmi les royaumes dont la création se rattache au légendaire Oduduwa, 1er oniife souverain du royaume d’Ile Ifè.  D’après une tradition orale, une discorde au sujet de la succession sur le trône d’Oduduwa a poussé plusieurs princes à l’exil hors d’Ilé Ifè. A la tête d’un impressionnant nombre d’Hommes, ils migrèrent vers l’ouest de la ville sainte où ils finissent par s’installer à Oke-Oyan, entre Shaki et Ilesha. Après un long séjour, chaque prince sentant le besoin d’avoir son propre territoire, le groupe se scinda en 4 avec un prince à la tête de chaque faction.

Le plus jeune remonta vers le nord-est d’Ifè  où il a fondé le royaume d’Oyo, pendant qu’un autre du nom d’Alakétou s’est dirigé vers le sud-ouest pour où il fonda le royaume de Kétou. Le troisième, Onishabè, remonte le cours d’eau de la rivière d’Oyan jusqu’à sa source (Opara). Il s’installa dans une forêt environnante où il fonda Kilibo, même s’il faut souligner que la région était déjà occupée. Plus tard sous la pression des raids des cavaliers baatonu, il prit avec son peuple la direction du sud dans la zone stratégique des collines de Shabè où suite à une lutte armée, ils finirent par repousser vers l’ouest les occupants Ojudu répartis aujourd’hui entre le pays Shabe et Atakpamè au Togo.

Peuplement rattaché à la migration Baba Gídàí

Le quatrième prince qui a pris départ d’Oke-Oyan tout comme ses frères, s’est dirigé vers le nord-ouest de la ville sainte. A. E. Soumonni résumait en 1991 l’axe de la migration de son groupe longue de plus d’un siècle, comme suit: “from Oke-Oyan, near present Shaki, into Borgu and thence southwards through Paraku, Shaworo and from there to Kilibo, Kabua and Shabe”. En effet, il s’est dirigé vers l’actuel département du Borgou au Bénin où il s’est établi parmi le peuple Boko sous l’autorité du roi des Busa. A sa mort, son peuple a profité des attaques des songhaï Sonni Ali puis Askya Mohammed dans le Borgou, pour se relancer dans la quête de leur propre territoire. Ils ont continué le voyage vers le Sud où ils ont fondé le royaume de Parakou. Un autre groupe à la tête duquel se trouvait Ajugu et ses fils Baba Gidai et Mama Ali, a continué la descente vers le sud marquée par un séjour à Tchaourou, pour finalement s’installer à Kilibo. Pour ne pas vivre proche de son frère ainé qui était moins influent que lui, Baba Gidai a continué la descente vers le Sud à la mort de leur père. Il a fini par s’installer à Kaboua d’où il envoyait certains de ses enfants au XVIIeme siècle prendre les rênes de Shabe suite à une machination qui a mis fin à l’autorité des Amushu, marquant ainsi la fin du règne lié au peuplement d’Onishabè. Mais ceci est une autre histoire.

Une autre explication stipule que la présence des Yoruba dans le Borgou n’est pas liée au quatrième prince ayant quitté Oke-Oyan mais plutôt à la chute du royaume d’Oyo qui aurait poussé les Yoruba vers le nord-ouest à la suite des attaques des Nupe, appelés Tapa par les descendants d’Oduduwa. Toutefois, la suite de l’histoire reste la même à partir de la mort de souverain Yoruba qui aurait trouvé refuge auprès du roi des Busa.

 

Même si le peuplement du pays shabe est expliqué par plusieurs différentes histoires, il faut souligner qu’elles s’accordent toutes sur l’hypothèse qui situe l’origine du peuple shabe à Ile-Ife au Nigeria. Plusieurs fouilles archéologiques soutiennent aujourd’hui cette tradition orale.

 

Sources

  • Nestor Labiyi, 2015: Phenomènes migratoires et question du peuplement dans l’espace Yorùbá: une approche historique et archeologique de l’occupation du pays Shabe, Nyame Akuma
  • Adediran, B. 1994: The Frontier States of Western Yorùbáland circa 1600-1889: State Formation and Political Growth in an Ethnic Frontier Zone. Ibadan: IFRA.
  • Akinjogbin, I.A. 1976: The expansion of Oyo and the rise of Dahomey, 1600-1800. In J.F.A. Ajayi, editor, History of West Africa, Volume 1, (2nd edition). London: Longman Group, pp.373-412.
  • Igue, O.J.P. 2005a : Contribution à l’étude de la civilisation Yoruba, Tome I. Cotonou: Les Editions LARES.
  • Igue, O.J.P. 2005b : Les Sabe-Opara: aperçu historique. Cotonou: Les Editions LARES
  • Palau Marti, M. 1992 : L’Histoire de Ṣàbẹ et de ses rois. Paris: Maisonneuve et Larose, vol.1.
  • Ryder, A.F.C. 2000 : De la Volta au Cameroun. In D. T. Niane, editor, Histoire Générale de l’Afrique, vol. IV, L’Afrique du XIIè au XVIè siècle. Paris: UNESCO/NEA, pp. 371-404.
  • Smith, R.S. 1976: Kingdoms of the Yoruba. London: Methuen.
  • Soumonni, A.E. 1991: Dahomean Yorubaland. In Toyin Falola, editor, Yoruba Historiography. Madison: African Studies Program, University of Wisconsin, pp. 65-74

 

Bola

Data. Cultures. Real Madrid. Café & Les merveilles de la vie.

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