Fils préféré du roi Béhanzin (Daah Gbèhanzin), le prince Ouanilo fut de tous les combats de son distingué père. A son esprit brillant, il sut adjoindre une force de caractère qui fit de lui le premier noir africain inscrit au barreau de Paris. Ouanilo, au-delà de l’héritage royal, c’est aussi une exceptionnelle destinée à l’épreuve du déracinement et du colonialisme.
L’enfance d’un prince dépossédé
Ouanilo Arini (plus tard Aristide) naquit en 1885 à Gbèkon-Houègbo, palais de son ancêtre le roi Agonglo. Sa mère, Lakoukou Massè était une roturière d’origine Nago. Son prénom Ouanilo signifie en langue fon « tout acte posé par l’homme entre dans l’histoire ». On ne saurait faire plus prémonitoire.
Le destin du prince bascula lorsque les troupes coloniales françaises envahirent Abomey le 17 novembre 1892. Âgé d’à peine sept ans, il dut suivre son père le roi dans l’enfer du maquis. S’ensuivent deux années de résistance héroïque contre les forces françaises emmenées par le colonel Alfred DODDS.
La déchéance du roi Béhanzin
Constatant malgré lui la supériorité militaire française et afin d’éviter un trop lourd tribut en vies humaines, le roi Gbèhanzin se rendit à l’occupant le 25 janvier 1894. Croyant aller à la rencontre du président français, il dut faire face à l’âpre réalité de l’exil.
Ouanilo suivit son père en Martinique en compagnie de trois de ses sœurs : Agbokpanou, Mèkougnon et Potassi. La famille fut installée au Fort Tartenson dans les hauteurs de Fort de France, chef-lieu de l’île. Le roi, tirant les conclusions de son échec face à la France, comprit l’importance du savoir et de la science. Dans la pièce Kondo le requin de Jean PLIYA, il confia en effet à sa progéniture : « Mon fils, quel que soit ton avenir, méfie-toi des flatteries des Blancs, sinon, elles te gâteraient le cœur. Ne recherche que leur savoir. Là réside le secret de leur force. Puise à cette source jusqu’à satiété, mais garde toi de devenir un eunuque dont on ne sait s’il est homme ou femme, blanc ou noir. Sois toi-même comme une gourde remplie à ras-bord ».
Ouanilo entama alors des études dans l’Institution des Frères de Ploërmel puis plus tard au Lycée Schoelcher. Vu ses brillants résultats académiques, il devint le secrétaire-interprète de son père. Sa plume servit la cause du retour de sa famille au Danhomè. En effet, avec le poids des années qui défilent, le roi supporte difficilement l’exil et manifeste de plus en plus le besoin de retourner sur la terre de ses aïeux. L’effort aboutit en 1906 au transfert de la famille en Algérie.
Ce fut une victoire en demi-teinte car l’Algérie n’est point le Danhomè. Le second exil ne dura guère. Une pneumonie sans doute aggravée par la mélancolie emporta le roi le matin du 10 décembre 1906.
Ouanilo, dans l’après-Béhanzin
Après l’inhumation du roi, Ouanilo prit le chemin de la France. Dans un premier temps, il manifesta le désir d’intégrer l’école militaire de Saint-Cyr afin de devenir officier. Craignant qu’il devienne un obstacle à l’entreprise coloniale au pays de son père, l’autorité coloniale s’y opposa. Ne se décourageant point et ayant toujours en mémoire les paroles de son géniteur, il se rabattit sur des études de droit. Il obtint finalement une licence en juillet 1912. Il combattit pour la France pendant la première guerre mondiale, ce qui lui permit d’obtenir la nationalité française.
Il intégra le barreau de Paris en 1915 et épousa un an plus tard Maria Valentina DUCAUD. Comme on peut aisément l’imaginer, être noir, avocat, marié à une blanche en ce début de XXème siècle était tout sauf une partie de plaisir. Il démissionna du barreau de Paris et s’installa à Bordeaux où il officia en tant que chef du contentieux d’une compagnie ferroviaire.
Il mit tout son esprit à profit pour le retour des cendres de son feu père le roi en terre dahoméenne. Ses efforts conjugués à ceux de son frère Awagbé devenu entretemps chef de canton à Abomey furent couronnés de succès en 1928. La dépouille du roi fut rapatriée et reçut des obsèques dignes de son rang à Djimè.
La fin de l’aventure du prince courage
Après l’inhumation du roi, Ouanilo décéda prématurément sur le chemin du retour en France le 19 mai 1928. D’abord enterré à Dakar, son épouse transféra sa dépouille à Bordeaux le 3 octobre 1928. En 2006, à l’occasion du centenaire de la mort de Gbéhanzin, ses cendres furent rapatriées à Abomey où il repose désormais à côté de son père le roi.
S’il n’est pas aussi célèbre que son père, Ouanilo est malgré tout un symbole de courage, de ténacité et de grandeur d’esprit. Loin de se morfondre sur le rêve inachevé de son géniteur, Ouanilo travailla à l’élévation de sa condition d’homme noir dans un monde miné par le colonialisme. En ces temps présents où la jeunesse africaine se questionne sur sa place dans le monde, Ouanilo est un chemin d’espérance : il sut allier l’héritage ancestral à la connaissance qu’il reçut du monde occidental.
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