Ode aux musiques d’Afrique

Comment l'Afrique a colonisé les tendances musicales mondiales

2017 ! La nuit est profonde, le cercle est tracé dans le sable d’Agla. Nous nous trouvons au seuil d’un couvent vodoun interdit aux femmes. Il est 4heures du matin et les chiens errants se tiennent à distance. Le tambour retentit, les initiés sont présents. L’un après l’autre, les jeunes hommes à l’allure citadine exécutent à pieds nus des pas infiniment codés du vodoun. Le contraste est saisissant entre la modernité des bruyants maquis illuminés au loin et ces tambours enivrants, ces danses ancestrales qui font trembler la terre et ce chant puissant sorti du tréfonds de l’Invisible, nous plongeant dans l’intemporalité. Ainsi, les Revenants sont appelés. La musique est plus qu’un art, plus qu’une beauté. Elle est une force, elle est un outil. Zoom sur comment la musique africaine a colonisé plusieurs tendances dans le monde à travers le temps !

Spectacle egungun (les revenants) dans la commune d’abomey-Calavi, au Bénin.

Cet article est un voyage retraçant les origines africaines de nombreux styles de musique que nous écoutons, de la période de l’esclavage jusqu’à nos jours.

La musique est plus qu’un art, plus qu’une beauté. Elle est une force, elle est un outil.CLIQUEZ POUR TWEETER

Musique d’Afrique noire : Survivance

Il y a très longtemps et durant des siècles, les razzias musulmanes déportèrent d’innombrables Africains noirs sur les terres arabes. On leur arracha leur vie, leur liberté, leur sexe (la castration étant largement pratiquée sur les esclaves). On leur arracha tout, mais jamais leurs esprits. Leur résilience sans faille fécondant une partie des cultures maghrébines, l’univers des gnawa (confréries musulmanes présentes au Maroc, Algérie, Libye, Tunisie,…) se trouva enrichi des échos vocaux et rythmiques des peuples du Danxòmè (ancien Centre et Sud du Bénin) ainsi que d’autres nations du golfe de Guinée.

La musique Gnawi

De nos jours, la musique gnawi est un cœur qui palpite plus que jamais, osant toutes les fusions pour continuer de vivre et de s’étendre.

[Gnawa]
Musiciens gnawa

Les puristes de l’authentique gnawa pourront se retrouver en écoutant le musicien Amida Boussou. La chanteuse et joueuse de guembri algérienne Hasna El Becharia, quant à elle, déjoue les interdits concernant les femmes qui sont d’habitude tenues à l’écart des orchestres gnawa. Une recommendation particulièrement intéressante est le deuxième morceau “The Mountain And The Source” de l’album “Mangustao” par la chanteuse Huong Thanh, un savant mélange de chant et musique traditionnels vietnamiens, de jazz (avec la collaboration du guitariste Nguyên Lê) et de gnawa. Un exemple concret des fusions inédites auxquelles se prête ce style musical.

En traversant l’Atlantique, les sinistres navires occidentaux emportèrent avec les esclaves noirs cette même résilience en eux qui permit à maints rites africains, parmi lesquels le vodoun est particulièrement présent, de se répandre sur les terres américaines et caribéennes, entre autres.

Le samba

Le samba, style musical brésilien dont les sources remontent à l’Angola, le Congo et même le Bénin en est un parfait exemple. Né au début du 20ème siècle et popularisé à travers le carnaval de Rio de Janeiro, le samba se réinvente de nos jours à l’instar du gnawa en épousant d’autres courants musicaux.

Spectacle de samba

Pour le découvrir, quoi de mieux que de savourer l’emblématique album “Os Afro Sambas” du grand et regretté Baden Powell, qui déclarait lui-même combien la musique brésilienne est d’essence africaine. Du samba est tiré le style bossa nova dont João Gilberto est un des dignes représentants ainsi que sa fille, Bebel Gilberto à la voix si chaude, qui réinvente et adapte aux goûts actuels tous les styles brésiliens. “All In One” est un très bel album.

La musique brésilienne est d’essence africaine. – Baden PowellCLIQUEZ POUR TWEETER

Les caraïbes

Du côté des Caraïbes, les esprits africains ont eux aussi vaillamment lutté au travers du son. Les Noirs réduits en esclavage avaient l’interdiction de jouer leurs musiques, mais ils ont résisté. Même s’ils ne purent emporter leurs instruments avec eux sur les terres du colon, ils en créèrent d’autres avec les nouveaux matériaux à leur portée. En secret, la musique fut jouée et les fétiches furent honorés. Le banjo en est un parfait exemple.

L’ekonting est un luth originaire du Sénégal. Ce formidable instrument aurait inspiré les esclaves d’alors pour créer le banjo.

Aujourd’hui, les styles musicaux caribéens directement tirés de leurs rythmes ancestraux ainsi que leurs genres dérivés sont si nombreux et divers qu’on ne pourrait tous les citer ici. Cependant, on ne peut ignorer des styles aussi riches et variés tels que la salsa cubaine, le calypso de Trinité-et-Tobago (écoutez la chanteuse Calypso Rose), le zouk, etc. Roberto Roena et Tito Puente ont produit beaucoup d’albums salsa. À connaître la provenance des rythmes latins, il n’est guère étonnant de voir de nombreuses formations caribéennes fusionner aussi facilement avec les musiques africaines. Pas de plus belles retrouvailles que le projet AfroCubism réunissant des musiciens cubains et maliens en 2010. D’ailleurs, les groupes de salsa africains sont innombrables.

Musique : Exorciser la souffrance

Il faisait tellement chaud. Coincés dans cette fournaise, Saïko et ses compagnons d’infortune cultivaient le coton sans jamais en voir la fin. Le maître de la plantation les scrutait à quelques mètres de là, lanière en main. Saïko observait du coin de l’œil un nouvel arrivant qui dut se mettre aussitôt au travail, les paumes couvertes de cloques et la jambe en sang. Ses mains tremblaient. Ses lèvres tremblaient, psalmodiant une souffrance sourde. Il défaillait et tentait de s’accrocher à l’un des arbustes, sachant pertinemment que les branches seraient trop chétives pour soutenir sa chute. Il ne devait pas tomber, jamais il ne devait !

Pour l’aider, Saïko se mit à chanter.

Swing low, sweet chariot (roule doucement, doux chariot)”

Les autres esclaves reprirent la mélodie en chœur et continuèrent à chanter en travaillant le coton. 

Coming for to carry me home (qui vient pour m’emmener à la maison)”

Saïko chanta encore plus fort.

Swing low, sweet chariot

Coming for to carry me home

If you get there before I do (si tu arrives là-bas avant moi)

Coming for to carry me home

Tell all my friends, I’m coming too (dis à tous mes amis, que je viens aussi)…”

Ainsi chantèrent-ils éreintés sous l’ardent soleil jusqu’à la tombée de la nuit. Dans les plantations, les esclaves astreints au labeur incessant chantaient en cadence pour rythmer leurs gestes, tenir le coup et se révolter de manière codée. Le meneur lançait un chant, les autres le reprenaient en chœur.

Le gospel

De cette pratique nommée “work songs” est né le style musical negro spiritual qui se pratiqua beaucoup dans les premières églises noires. Les paroles de ces chansons reprenaient les références bibliques telles que la libération du peuple hébreu auxquels ils s’identifiaient. Ainsi, du negro spiritual est né le gospel, toujours basé de nos jours sur cette pratique vocale du meneur repris en chœur par les autres chanteurs.

Mahalia Jackson fut l’une des premières grandes chanteuses de ce courant musical qui continue à avoir du succès sur le continent africain et aux États-Unis. L’album de gospel américain “The Dream” sorti en 2007 et chanté par Maurette Brown Clark est un exemple plus récent.

La soul

La soul, style très pratiqué des années 1960, fut aussi tirée du spiritual grâce à l’inspiration innovatrice de Ray Charles. “A Change Is Gonna Come” écrite par la star de Soul Sam Cooke, et également interprêtée par la reine de la Soul Aretha Franklin, est une chanson inspirée par le drame de la ségrégation raciale et une des plus connues de ce style musical emblématique de la communauté afro-américaine.

Le blues

C’est également dans les plantations qu’est né le blues, un des symboles les plus forts de la souffrance du peuple noir. Parmi les premiers furent le guitariste à la voix enrouée Blind Willie Johnson ou la chanteuse Bessie Smith. Le blues n’a jamais cessé d’exister et d’évoluer jusqu’à nos jours avec certains musiciens très contemporains tels qu’Eric Bibb qui en 2014 a encore sorti un très bon album nommé “Blues People“.

Robert Johnson, un bluesman légendaire

Même des courants réputés blancs comme la musique metal ou country ont des liens très étroits avec le blues.

 

Avant et Maintenant

Dans la salle sombre et bondée résonne le cri lancinant de la trompette de Terence Blanchard. Avec son quintet, il joue les morceaux mélancoliques de l’album “A Tale of God’s Will (Requiem for Katrina)” qu’il composa en 2007 suite à l’ouragan qui dévasta la Nouvelle-Orléans, sa ville natale. Les notes semblent être pleurées à travers l’instrument, alourdies par le poids de fantômes et de souffrances. Le premier morceau de son album chef-d’œuvre, il la nomma “Ghosts Of Congo Square” en hommage à ceux qui, après l’esclavage, revenaient encore jouer la musique des ancêtres sur la place Congo Square où furent pendus nombre des leurs (paix à leur âme).

Le jazz

C’est à la Nouvelle-Orléans (ville majoritairement afro-américaine) que vit le jour une nouvelle manière de jouer la musique qui bouleversa le monde. Le jazz est une révolution. Il est le champ de tous les possibles, de toutes les fusions, de toutes les expérimentations des plus scientifiques au plus émotionnelles, d’où la profusion d’époques différentes et de sous-genres du jazz. Pour ne citer que quelques uns : swing, be-bop, hard-bop, cool jazz, free jazz, jazz fusion,… Actuellement, le jazz accapare le devant de la scène plus que jamais.

J. J. Johnson était un grand tromboniste de l’époque jazz bebop

Parmi les innombrables musiciens de renom, on peut bien sûr citer les anciens Lester Young, Ella Fitzgerald, Miles Davis, Ahmad Jamal et les contemporains Cassandra Wilson et Christian Scott. Billie Holiday, grande chanteuse de jazz vocal a interprété pour la première fois et popularisé le symbolique et poignant morceau “Strange Fruit” tiré d’un poème de Abel Meeropol dont le titre fait référence aux victimes de l’esclavage pendues aux arbres tels des “fruits étranges”. C’est l’une des chansons de jazz les plus connues et les plus engagées en faveur des droits civiques.

Elle continue à être réinterprétée par nombre d’artistes contemporains d’horizons musicaux parfois très différents, à l’instar de Rokia Traoré la chanteuse malienne qui réinterprète cette chanson dans son dernier album “Né So” ou India.Arie, chanteuse de neo-soul.

À l’époque où nous vivons, nos états d’âmes sont bercés par le R&B, le rock, la neo-soul, le rap, le jazz, le reggae et tant d’autres. Beaucoup de nos musiques actuelles trouvent d’une manière ou d’une autre leurs racines en Afrique.

Retour à la musique en Afrique

La musique africaine peut difficilement être catégorisée tant le continent est pluriel. Des percussions ancestrales sénégalaises dirigées par Doudou N’diaye Rose aux chorales sud-africaines, de l’afrobeat de Fela Kuti et du reggae de Lucky Dube aux mélodies plus modernes de Dobet Gnahoré ou Lokua Kanza, des artistes reconnus internationalement comme Richard Bona et Lionel Loueke aux gardiens des traditions connus plus localement comme Alèkpehanhou et Sagbohan Danialou au Bénin et Nahawa Doumbia au Mali, des innovateurs Hugh Masekela et Manu Dibango aux adeptes de sons plus mondialisés comme Yemi Alade, le continent n’est pas en reste face au monde entier.

Il fut une époque où les musiques africaines étaient principalement liées à des fonctions précises, que ce soit dans les domaines occultesroyaux, spirituels et autres. À présent, l’influence de la mondialisation qui axe l’art de la musique sur l’esthétique, l’expérimentation et l’émotion amène la musique d’Afrique postcoloniale à s’éloigner de ses fonctions premières, adoptant souvent une démarche plus revendicative avec l’idée d’africanité, la contestation des modes de gouvernance, etc.

Sona Jobarteh, chanteuse et joueuse de kora gambienne

Malgré la mondialisation, certains musiciens tâchent envers et contre tout  de préserver les traditions, parfois en modernisant leur présentation. C’est par exemple le cas du Sénégalais Baaba Maal avec son album “Baayo” ou d’Angélique Kidjo avec les albums “Eve” et “Remain In Light“. C’est d’ailleurs l’icône béninoise qui déclara en marge d’un concert en hommage à Miriam Makeba que toutes les musiques viennent d’Afrique. Il semblerait qu’elle n’avait pas tort.

Toutes les musiques viennent d’Afrique. – Angélique KidjoCLIQUEZ POUR TWEETER

Cet article est une contribution de Madame Marine DOVONON (Folowa Wéwé 😉)

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