Histoire

Mongo Beti : l’infatigable plume engagée

Toute sa vie, il a combattu l’injustice sociale, la corruption politique et le néocolonialisme. Combinant son talent d’écrivain à ses idéaux, l’engagement de cet illustre africain ne souffrit d’aucune faille. Au-delà de l’auteur prolifique, Mongo Beti marqua surtout l’histoire par son combat pour une Afrique libre.

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Source : Afrique Orient

Mongo Béti, une enfance sous la colonisation

De son vrai nom Alexandre Biyidi Awala, Mongo Béti vit le jour le 30 juin 1932 à Akométam, village situé à une cinquantaine de kilomètres de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Enfant, Il eut pour précepteurs les missionnaires catholiques de l’école de Mbalmayo avant d’intégrer le lycée Leclerc à Yaoundé en 1945. C’est au cours des fêtes de son village où chacun devait raconter des histoires qu’il aiguisa son talent de narrateur. Après l’obtention du baccalauréat, il mit pied en France afin de suivre des études de lettres classiques.

Les prémisses d’un anticonformisme

A peine âgé de 22 ans, il publie en 1954 Ville Cruelle sous le pseudonyme Eza Boto. A travers  ce réquisitoire contre l’injustice et l’exploitation économique, l’engagement de l’homme se fait déjà sentir. Son enfance fut en effet marquée par l’injustice du fait colonial. Par ailleurs, c’est l’année de son bac que fut créée l’Union des Populations du Cameroun (UPC), mouvement indépendantiste qui pèsera lourd par la suite dans l’histoire de son pays. Ruben Um Nyobé, créateur de l’UPC aura une énorme influence sur son engagement politique.Mongo Béti s’est donné pour mission de dénoncer et d’alerter sur les travers de son temps, en l’occurrence le colonialisme.

Adoptant définitivement le pseudonyme Mongo Béti (fils des Béti, du nom de son groupe ethnique), il publie en 1956, Le pauvre Christ de Bomba. Aujourd’hui classique de la littérature africaine, cet ouvrage fit grand bruit à sa sortie. Il pose les fondations de ce qui devint dès lors son leitmotiv : dénoncer et alerter sur les travers de son temps, en l’occurrence le colonialisme. Sa verve n’épargne personne, y compris ses compatriotes. En témoigne, Mission terminée, publié en 1958 où il s’attaque aux vices minant la société traditionnelle camerounaise.

Source : Blogspot – Chez GANGOUEUS

Mongo Béti et le drame de l’UPC

Après 1958, les événements tragiques se déroulant au Cameroun marqueront un tournant décisif dans la vie de Mongo Béti. Le 13 septembre 1958, après de longs mois de traque, son modèle politique, Ruben Um Nyobé est sauvagement assassiné par l’armée française. Son successeur, Félix Moumié meurt empoisonné à Genève par un homme de main de Jacques Foccart. Les militants de l’UPC sont inlassablement traqués et tués avec l’aide d’un corps expéditionnaire français. Comme Mongo Béti le rappelle dans Repentance :

« A Douala, en 1960, un quartier populaire connu pour être le repaire de militants nationalistes radicaux, est encerclé par des soldats africains sous le commandement d’officiers blancs, et incendié ; tous les habitants périront, sans distinction d’âge, ni de sexe ».

Les leaders de l’UPC. De gauche à droite, au premier plan : Osendé Afana, Abel Kingué, Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Ernest Ouandié. | Source : Wikiwand

En 1971, c’est le dernier compagnon d’Um Nyobé, Ernest Ouandié qui est publiquement exécuté. Tous ces évènements se déroulent dans l’indifférence générale. Scandalisé par le silence, voire la complaisance des médias français, Mongo Béti se saisit de son arme de prédilection, sa plume.

La censure française : l’affaire Main basse sur le Cameroun

Il rédige Main basse sur le Cameroun, autopsie d’une décolonisation, publié aux éditions Maspero en 1972. Ce livre est un brûlot sans concession qui embarrasse les gouvernements camerounais et français. La force des témoignages recueillis par Mongo Beti porte aux nues la compromission des dirigeants français et camerounais. La censure ne se fait pas attendre. Sur une demande du gouvernement camerounais relayée par Jacques Foccart et Ferdinand Oyono, ambassadeur du Cameroun à Paris, le ministre de l’Intérieur français interdit l’ouvrage. Mongo Beti intente alors un procès contre l’Etat français. Il le remportera au bout de quatre longues années de procédure. Malgré sa victoire devant les juridictions, le harcèlement policier et administratif est loin de s’estomper. Tant bien que mal, il publie en 1974, Perpétue et surtout Remember Ruben où il s’étale sur les bouleversements que connait l’Afrique suite aux indépendances.

Mongo Béti et sa femme Odile Tobner-Biyidi au milieu des années 80. | Source : mongobeti.arts.uwa.edu.au

Main basse sur le Cameroun a fait de lui un paria au sein de la presse française. Afin de contourner la censure, il fonde en 1978 la revue Peuples Noirs-Peuples Africains  avec sa femme Odile Tobner. De nombreux intellectuels africains s’y exprimeront malgré la marginalisation du milieu éditorial français.

Mongo Béti, le retour au bercail

Après 32 ans d’exil, Mongo Béti retourne finalement au Cameroun. Ayant au cœur l’amour des lettres et de la diffusion des idées, il fonde à Douala la Librairie des Peuples Noirs. Il retourne également dans son village natal afin d’y développer des activités agricoles. Il y consacre l’essentiel des dernières années de sa vie. Malgré toute la patience et la passion qui l’animent, il se rend compte de la corruption des mœurs qui règne dans son pays. En 1993, dans La France contre l’Afrique, retour au Cameroun, il ne peut que constater l’échec de la décolonisation et l’égarement des élites africaines. Epuisé par toute une vie de combats, il meurt le 7 octobre 2001 des suites d’une insuffisance rénale.La vocation d’un écrivain n’est pas de bénir le monde tel qu’il est, mais de mettre la société mal à l’aise, de lui fournir cette mauvaise conscience dont elle a besoin pour progresser. – Mongo Béti

D’après Mongo Béti, la vocation d’un écrivain n’est pas de bénir le monde tel qu’il est, mais de mettre la société mal à l’aise, de lui fournir cette mauvaise conscience dont elle a besoin pour progresser. Il y sera parvenu. Fidèle à l’esprit contestataire de Mongo Béti, sa veuve refusera tout hommage public du gouvernement camerounais suite à son décès.

Sources :

Djidé

Béninois, Archiviste-documentaliste sorti de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature. Passionné d’histoire, de livres et de musique.

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