L’authenticité africaine selon Mobutu

Aux termes d’une indépendance pour le moins mouvementée, l’immense Congo est au cœur de toutes les convoitises. Un coup d’Etat plus tard, un jeune militaire aux allures timides s’empare des rênes du pouvoir. Il promet remettre de l’ordre en cinq ans dans un pays en proie à de sévères troubles politiques. L’aventure s’étalera finalement sur trois décennies. Souhaitant redonner une fière identité à ses compatriotes et exalter leur patriotisme, Mobutu fera de « l’Authenticité » son maitre mot. Ce mouvement politico-culturel portera son règne jusqu’à son inéluctable chute.

Les origines

Colonel Joseph Mobutu – 1960 | (c) Pinterest

Arrivé au pouvoir en 1965 suite à un coup d’Etat militaire, Mobutu s’attelle à insuffler une nouvelle dynamique au Congo. Au gré de ses ambitions énormes, il souhaite opérer une rupture symbolique avec l’ancienne puissance colonisatrice. En effet, la tendance à l’époque dans la plupart des pays africains est à la glorification de l’identité négro-africaine.

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Fortement influencé par la Révolution culturelle prolétarienne de Mao Tsé-Toung et le régime nord-coréen de Kim Il-Sung, Mobutu met au point une charte définissant l’orientation politique de son régime. Ce texte fondateur (le manifeste de la N’Sele) est promulgué le 20 mai 1967. Il crée un parti-Etat, le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR) et prévoie bon nombre de mesures nationalistes. Il proclame aussi « L’Authenticité », leitmotiv du pouvoir.

Les grands axes de la politique de l’Authenticité

« A notre sens, l’authenticité consiste à prendre conscience de notre personnalité, de notre valeur propre, à baser notre action sur des prémices résultant des réalités nationales pour que cette action soit réellement nôtre, et partant, efficace ». Par ses mots, Mobutu annonce la couleur. Le 27 octobre 1971 a connu l’inauguration de ce qui fut appelé « Les trois Z ». En effet, le nom de l’Etat (Congo), la monnaie (franc-congolais) et le fleuve Congo sont renommés Zaïre. Officiellement, il s’agit de se débarrasser d’un nom hérité du colon belge et se référant à l’ancien royaume Kongo. Officieusement, le souci était surtout de ne plus donner l’appellation d’une ethnie (les Bakongo) à la nation entière, de marquer une différence avec le Congo-Brazzaville et aussi de reléguer au second rang un nom devenu synonyme de violence et de chaos. Ironie de l’histoire, le nom Zaïre n’a pourtant rien d’authentique. Il s’agirait d’une déformation du terme Nzadi faite par les navigateurs portugais qui s’aventurèrent en premier dans l’embouchure du fleuve Congo.

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En sus, le lingala devint langue d’enseignement. Les principales villes sont renommées : Léopoldville céda la place à KinshasaElisabethville et Stanleyville devinrent respectivement Lubumbashi et Kisangani. Les statues à la gloire des missionnaires et explorateurs occidentaux sont déboulonnées.

L’Authenticité s’immisce jusque dans les habitudes quotidiennes des zaïrois. Le costume et la cravate sont interdits. Place à l’abacost (veston sans col) pour les hommes et aux pagnes traditionnels noués à la taille pour les femmes. Défrisage et dépigmentation sont aussi mis à l’index. Dans les médias, la rumba populaire est promue.

L’autre mesure phare est la proscription des prénoms occidentaux. Mobutu lui-même donne l’exemple. Il se débarrasse de son prénom de baptême et s’attribue l’ubuesque Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga. Autrement dit : le guerrier tout-puissant qui laisse le feu sur son passage et qui va de conquête en conquête sans que rien ni personne ne puisse jamais l’arrêter. Ou dans un langage plus grivois : le coq qui ne laisse aucune poule intacte. L’interdiction des prénoms occidentaux et la promotion d’un syncrétisme mêlant croyances endogènes et rites chrétiens n’est pas sans déclencher l’ire du clergé catholique. D’autres mesures sont prises, certaines salutaires comme l’interdiction de vendre de l’alcool après 18 heures, d’autres côtoient le ridicule (l’interdiction de se faire la bise en public).

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Sur le plan économique, l’Authenticité amorce la nationalisation des entreprises et des propriétés foncières aux mains de capitaux étrangers. Les banques et les riches gisements miniers du Kasaï et du Katanga passent sous le giron de l’Etat.

Les dérives et le déclin

Si elle a su susciter l’enthousiasme du peuple à son débutl’Authenticité laisse assez vite la place à la désillusion. Les réformes économiques tant vantées s’avèrent être des catastrophes retentissantes. La chute des cours du cuivre au milieu des années soixante-dix induit une crise économique sans précédent. L’inflation atteint des sommets. La nationalisation des compagnies privées a surtout servi à enrichir l’engeance au pouvoir. Le clientélisme politique, la corruption, la prédation des ressources deviennent des modèles de gouvernement.

L’entrée des rebelles de Laurent-Désiré Kabila à Kinshassa au lendemain de la fuite de Mobutu – 1997 | (c) VOA Afrique

Progressivement, les zaïrois se rendent comptent que l’Authenticité a surtout servi à asseoir un pouvoir sans partage. Partant du respect traditionnel dû au chef dans les cultures bantoues, Mobutu a initié une autocratie particulièrement brutale. A défaut de museler ses opposants, il les fait assassiner. Le culte de la personnalité sous son règne n’a rien à envier à l’ère stalinienne. Tous les moyens existants sont mis au service d’une propagande défiant souvent le bon sens. Beaucoup d’intellectuels dissidents fuient le pays. Le Zaïre jadis modèle devient infréquentable. Les zaïrois ayant perdu leur pouvoir d’achat sont las de danser et de répéter des slogans nationalistes pour un chef qui semble étranger à leurs souffrances. L’authenticité perdit définitivement l’assentiment populaire. La conséquence sera la chute du pouvoir de Mobutu quelques années plus tard.

La population de Kinshasa jubile à l’entrée des rebelles pro Laurent-Désiré Kabila – 1997 | (c) VOA Afrique

Le bilan de Mobutu

Il est indéniable que la doctrine de l’Authenticité partait d’une intention noble. En effet, quoi de plus beau que d’être soi et de le clamer haut et fort. L’ère mobutiste a donné une estime de soi aux zaïrois. Leur manière d’être et de vivre a cimenté un sentiment national. La culture zaïroise, particulièrement la musique, a rayonné au-delà des frontières africaines. En témoigne l’influence de chanteurs tels Franco Luambo MakiadiGrand Kallé ou Tabu Ley Rochereau. Ces points positifs ne firent malheureusement pas le poids face au naufrage économique du Zaïre. A long terme, l’Authenticité s’est révélée être un échec.

Sources :

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