L’abondance des discours féministes dans l’Afrique actuelle laisse penser que, dans les sociétés africaines, la femme a toujours été considérée comme un être inférieur à l’homme.
Pour certains sociologues tels que Pierre Titi Nwel, l’émancipation de la femme africaine serait le fruit de « l’œuvre humanisante » réalisée par les colons :
« Aussi, en montrant à la femme ses droits vis-à-vis de l’homme, en la réhumanisant en somme l’entreprise coloniale s’est-elle universellement affirmée comme une œuvre pie ».
Cette pensée s’appuie sur l’existence du système patriarcal dans plusieurs groupes sociaux aujourd’hui en Afrique. En effet, dans la majorité des diverses sociétés qui peuplent l’Afrique contemporaine, l’on peut se rendre compte que la femme, au vu des coutumes et des traditions, occupe une place secondaire par rapport à l’homme. C’est ce que relève Pépévi Afiwa Kpakpo en ces termes :
« Mais en réalité, la prééminence de l’autorité de l’homme et la subordination de la femme nous laissent sceptiques. Dans le système matrilinéaire où les enfants suivent la lignée maternelle, c’est le frère de la sœur qui a parfois le dernier mot. Comme nous l’avons montré à travers nos coutumes, la femme ne joue qu’un rôle ‘d’arrière-plan, dans l’ombre’ ».
Cette place ne lui permet pas d’exercer de hautes fonctions politiques qui, selon certains auteurs tels que Paul Nchoji Nkwi, donnent une appréhension réelle du rôle que joue la femme au sein d’un groupe social donné. A cet effet, il explique :
« L’exercice du pouvoir politique a toujours été considéré comme une affaire d’hommes, dans la mesure ou très peu de sociétés acceptent ou tolèrent que les femmes occupent des postes politiques même d’importance marginale. Que ce soit la Mafo de la société bamileke, la Nafoyn du royaume de Kom au Cameroun, ou la reine d’Angleterre, elle demeure sous le contrôle des hommes. Ce qui est paradoxal, c’est que même dans les sociétés matrilinéaires, l’exercice effectif du pouvoir demeure entre les mains des hommes ».
Or, il est trompeur d’étudier la place de la femme au sein des sociétés africaines précoloniales en se basant sur les groupes traditionnels actuels, qui se veulent pourtant les héritiers des grands royaumes et empires qui ont fait le couronnement de l’Afrique d’avant la colonisation. En effet, le matriarcat africain a été atténué par certaines influences extérieures, d’où la prééminence du patriarcat dans les sociétés traditionnelles de nos jours. Dans cet article, je me propose de donner une explication du matriarcat, ce qui nous permettra, chers lecteurs, de mieux appréhender le rôle joué par les femmes à cette époque reculée de l’Histoire de notre continent.
D’après les recherches réalisées par Cheikh Anta Diop et qui ont été réunies dans des ouvrages phares tels que Nations nègres et Culture, L’Afrique noire précoloniale, L’unité culturelle de l’Afrique noire, le matriarcat nègre (note de l’auteur : Ne pas prendre le mot « nègre » dans son sens raciste et péjoratif. Vous remarquerez qu’il est toujours employé par Cheikh Anta Diop. Également, le mot « négritude », nom du mouvement littéraire et politique mis sur pied par Senghor, Césaire et Damas, a pour racine le mot « nègre ») trouve son origine dans la sédentarité et la pratique de l’agriculture. Une origine qui n’est pas certaine mais qui s’explique à travers la pensée populaire selon laquelle les femmes sont les premiers êtres à avoir songé à la sélection des produits de la terre afin d’en nourrir leurs familles pendant que les hommes se livraient à d’autres activités telles que la chasse ou la guerre.
Cette thèse est corroborée par Fatou Kine Camara, juriste ayant rédigé plusieurs articles sur le droit négro-africain qui est « le droit élaboré par et pour les Africaines et Africains du temps de l’autonomie économique, spirituelle et culturelle du continent (les périodes pré-esclavagistes et précoloniales) ».
Le matriarcat nègre trouve sa source dans l’Égypte antique où l’union matrimoniale conférait à l’homme et la femme les mêmes droits, sinon une plus grande considération au genre féminin. Ceci est confirmé dans l’ouvrage L’union matrimoniale des Peuples noirs, produit de la collaboration entre Saliou Kandji et Fatou Kine Camara. Cette dernière explique d’ailleurs :
« Mais ce que nos recherches ont aussi prouvé, c’est que c’est la femme et non l’homme qui dirigeait les affaires familiales et le ménage. Dans le couple même, c’est la femme qui avait le dernier mot. Ce principe est documenté de l’Égypte pharaonique à la période précoloniale, partout où il a cédé le pas au privilège de la masculinité, c’est du fait soit de l’arabo-islamisation, soit de la colonisation, soit des deux combinés ».
Ce système social venu d’Égypte s’est retrouvé perpétué dans les royaumes et empires Noirs suivants. C’est pour cette raison qu’était pratiqué le matrilignage (fait de rattacher les enfants à la lignée de la mère). En effet, El Bekri écrit que, dans le royaume du Ghana, entre le IIIème et le Xème siècle, « l’usage et les réglementations exigent que le roi ait pour successeur le fils de sa sœur ; mais il ne peut être assuré que celui qu’il regarde comme son propre père le soit vraiment ». Autrement dit, la filiation ou l’hérédité par la mère est certaine contrairement à celle du père. Comme le précise l’anthropologue Radcliffe-Brown qui a étudié la société Ashanti, dans une société matriarcale, la descendance, l’héritage, la succession, se font selon la lignée des femmes, le mariage est matrilocal et ce sont les parents de la mère qui exercent une autorité sur les enfants de cette dernière. De ce fait, il est plus facile de créer un arbre généalogique incontestable en rattachant les enfants à la mère. Une autre preuve de cette pratique est rapportée par l’explorateur Ibn Battuta lors de son voyage au Soudan vers 1330 :
« Ils (Les Nègres) se nomment d’après leur oncle maternel et non d’après leur père ; ce ne sont pas les fils qui héritent des pères, mais bien les neveux, fils de la sœur du père ».
Nous constatons à travers ces écrits que la femme jouait un rôle important car c’est elle qui transmettait l’intégralité des droits politiques aux hommes qui exerçaient en tant que roi ou empereurs (pratique toujours courante chez les yoruba-shabè du Bénin). Elle n’exerçait pas toujours comme Souveraine parce que les activités telles que la guerre et la chasse étaient réservées aux hommes. Lorsque l’on remonte à l’Égypte antique, l’on peut constater que frères et sœurs se mariaient parce que c’est la descendante de sang royal qui légitimait le trône du pharaon. Autre exemple, dans le royaume du Dahomey, surtout connu pour ses Amazones, il existait une parité homme-femme dans l’organisation politique. Pour chaque fonction ministérielle exercée par un homme, il existait un parallèle féminin. D’ailleurs, en ce qui concerne la femme du Dahomey, l’explorateur britannique William Winwood Reade rapporte :
« Elle est aussi employée dans des missions diplomatiques et dans des entreprises commerciales (…) Dans ce pays (…) on trouve d’admirables exemples de l’axiome de Platon qui disait : ‘En ce qui concerne sa nature, la femme est capable de toutes les entreprises permises à l’homme’ ».
Il est donc erroné d’appréhender le matriarcat uniquement comme un système dans lequel la femme est au commandement du groupe social. Le fait que certaines femmes aient revêtu des attributs politiques en dirigeant certains royaumes à des périodes particulières n’est qu’une conséquence du système matriarcal. Il s’agit plutôt d’un modèle sociopolitique dans lequel la femme occupe une place centrale car elle est le fondement de la famille et de la société.
« Le régime du matriarcat proprement dit est caractérisé par la collaboration et l’épanouissement harmonieux des deux sexes, par une certaine prépondérance même de la femme dans la société due à des conditions économiques à l’origine, mais acceptée même défendue par l’homme ».- Cheikh Anta Diop
Les femmes n’étaient pas détentrices seulement des pouvoirs économique et politique ; elles avaient aussi le pouvoir religieux en servant d’intermédiaire entre le monde spirituel et le monde matériel. Ce rôle important conféré aux femmes et leur complémentarité avec les hommes sont palpables dans l’art traditionnel africain qui les représente dans leur posture d’épouse-mère (Visible sur les images qui illustrent cet article).
A travers les lignes qui précèdent, nous pouvons aisément conclure que les sociétés africaines précoloniales étaient fortement dominées par le matriarcat.
Les sociétés africaines précoloniales étaient fortement dominées par le matriarcat.
Ce système social basé sur la spiritualité de ces groupes a été détruit par l’influence des religions étrangères (islam et Christianisme) et de la colonisation qui ont fait de la femme un être subordonné à l’homme. Toutefois, dans les pratiques actuelles subsistent quelques phénomènes matriarcaux tels que la place conférée aux Reines-mères au sein de l’organisation sociale et politique, la proximité entre les enfants et la famille de leurs mères, le matrilignage (chez les Kom du Cameroun, les Bemba de la RDC et de la Zambie, et bien d’autres Peuples africains). Le féminisme aujourd’hui en Afrique n’est qu’un produit de la colonisation et de la mondialisation.
Sources:
- DIOP, C. A. (2000), L’Afrique noire précoloniale, Editions Présence Africaine, 278 pages.
- DIOP, C. A. (1982), L’unité culturelle de l’Afrique noire, Editions Présence Africaine, 220 pages.
- DIOP, C. A. (2000), Nations nègres et culture, Editions Présence Africaine, 564 pages.
- KINE, F. C. (2000), L’union matrimoniale des peuples noirs, Editions L’Harmattan, 314 pages.
- KPAKPO, P. A. (2004), « La femme et le pouvoir dans la société traditionnelle», Revue du CAMES, Série B, vol 006, N°1-2, PP.43-52.
- MBOW, P. (2001), « L’islam et la femme sénégalaise», Ethiopiques, N°66 et 67, ethiopiques.refer.sn/spip.php?page=imprimer-article&id_article=1287
- NCHOJI NKWI, P. (1985), « Traditional female militancy in a modern context » in Barbier, J.-C. (dir.), Femmes du Cameroun. Mères pacifiques, femmes rebelles, Paris :ORSTOM-Karthala, P.181.
- TITI NWEL, P. (1985), « Le statut social de la femme dans les mythes basaa d’origine », in Barbier, J.-C. (dir.), Femmes du Cameroun. Mères pacifiques, femmes rebelles, Paris :ORSTOM-Karthala, PP.25-35.
- RADCLIFFE-BROWN, A. R. (1972), Structure et fonction dans la société primitive, Editions Seuil.
- nofi.fr/2015/03/la-parite-homme-femme-royaume-de-dahomey/13317
- seneplus.com/article/«le-déclin-de-notre-continent-commence-partir-du-moment-ou-l’homme–fait-de-la-femme-un-etre
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