«Elle n’a pas le temps de finir sa phrase. Le coup est parti. Une telle douleur, la sensation de ne plus avoir de visage. Un deuxième coup, au même endroit. Elle ne crie pas et tente légèrement de se protéger, car elle sait qu’il ne l’épargnera pas, et que des cris ou des larmes ne feraient que redoubler la rage de son conjoint. Un murmure à peine audible entre deux saccades de gifles et de coups, “Arrête, je t’en supplie” et d’autres coups pleuvent de plus belle. Essoufflé, il s’arrête enfin pour de bon. “Pourquoi tu pleures ? Je ne t’ai rien fait. Ne tente même pas de sortir de la maison.”
La voilà bâillonnée.
Pourtant, elle travaillait depuis le matin. S’occupait de la maison. Des enfants. Avait préparé le repas. Puis attendait gaiement le retour de son mari.»
C’est contre ces scènes tragiques et malheureusement quotidiennes que s’élève la voix de Minou Chrystayl, une militante camerounaise pour les droits des femmes en Afrique. Elle va toujours droit au but. “Le choix des mots est crucial” a-t-elle l’habitude d’expliquer. En effet, les violences faites aux femmes à travers le monde sont banalisées par un silence assourdissant, le poids des traditions et le lexique communément utilisé dans les expressions quotidiennes.
Des chiffres alarmants de violences faites aux femmes en Afrique
En Afrique de l’Ouest, plus de 40% des femmes sont victimes de violences et 65% le sont en Afrique Centrale selon les chiffres de l’OMS. Selon les estimations de l’ONU en 2017, le taux de mutilation génitale s’élevait encore à plus de 90% pour les femmes âgées de 15 à 49 ans, dans certains pays du continent tels que la Somalie (98%), la Guinée (97%), le Djibouti (93%), le Mali (91%), etc. Aussi, elles indiquent que plus d’une Africaine sur trois subit un viol au cours de sa vie. Les chiffres sont effarants si on prend en compte le fait que la majorité des femmes victimes de violence ne portent généralement pas plainte. Beaucoup d’entre elles n’ont même pas conscience que c’est une atteinte grave à leurs droits.
Face à l’ampleur du drame qui se joue dans nos sociétés africaines et au besoin criant de sensibilisation, Minou Chrystayl, avec d’autres militants, a initié les campagnes #SayNo de par l’Afrique. Tant à Abidjan qu’à Cotonou ainsi qu’à Douala et Johannesburg, hommes et femmes vêtus de blanc se prêtent au regard du photographe pour dire “Non” aux violences qui torturent et tuent les femmes africaines physiquement et moralement.
“Il existe encore très peu de campagnes de sensibilisation au niveau du continent africain”, explique la militante.
#DitesNon ! Il existe encore très peu de sensibilisation contre les violences faites aux femmes sur le continent africain.
#SayNo, la campagne d’une victime
Cette initiative trouve l’origine de son slogan dans l’affaire de la Sud-africaine Reeva Steenkamp assassinée à coup d’arme à feu par son tristement célèbre conjoint Oscar Pistorius. La jeune mannequin, sensible à la cause des droits des femmes, avait lancé le hashtag #SayNo par révolte face à un viol collectif commis dans la ville du Cap. Ironie du sort, quelques jours plus tard fut commis l’assassinat de Reeva Steenkamp.
Cette affaire est loin d’être isolée. Des cas terribles d’épouses violées et battues par leur propre conjoint jusqu’à ce que mort s’ensuive sont régulièrement affichés et débattus sur les réseaux sociaux. Ceci n’est que la pointe de l’iceberg et il est grand temps d’ouvrir la parole.
La perte d’une réelle identité africaine
Pourtant, la plupart de nos sociétés africaines n’ont pas toujours été sujettes à un tel climat de violence envers les femmes. Le matriarcat et le respect des femmes y étaient très développés. Maintes preuves existent, à travers entre autres les écrits de Cheikh Anta Diop, ou encore les traces de dispositions matriarcales qu’on observe encore dans certains royaumes du continent tels qu’à Abomey, au Bénin. Les crimes dévastateurs des civilisations chrétienne et arabo-musulmane lors des traites négrières et colonisations ont profondément remodelé l’essence de nos sociétés au point de nous avoir fait oublier combien les femmes sont précieuses. Beaucoup d’entre nous pensons encore que les pratiques et considérations actuelles sur les femmes sont des particularités de l’identité africaine qu’il faut respecter et préserver, sans se soucier de leur épanouissement et de l’expression de leur plein potentiel.
Un manque d’éducation et de volonté humaine
Le niveau d’analphabétisme étant encore trop élevé dans nos pays, une frange énorme des populations se trouve dans la difficulté de s’informer et de prêter réflexion à cela. Et bien sûr, une femme sur deux en Afrique subsaharienne n’ayant pas accès à une scolarisation de base, la connaissance de leurs droits s’en trouve compliquée. D’où l’idée qu’investir dans l’éducation aiderait beaucoup à améliorer la condition des femmes. Nombreuses sont les traditions héritées et idées reçues qui entretiennent et banalisent le sort réservé aux femmes en Afrique.
” Ce n’est pas la culture qui fait un peuple. C’est du peuple que résulte une culture. S’il est vrai que l’humanité toute entière de femmes n’est pas notre culture, alors nous pouvons en faire notre culture. ” – Chimamanda Adichie
L’honneur des familles mettent sous silence les cas de viols et d’inceste. Certaines fiertés empêchent d’ouvrir les yeux sur le fléau de l’exploitation des enfants qui sont en majorité de très petites filles. L’ignorance joue aussi. Combien de fois entend-on dire qu’un mari ne peut possiblement pas violer son épouse ? Combien d’hommes et de femmes elles-mêmes sont encore pétris de l’idée qu’une femme non excisée est impure ? Combien de femmes amoureuses ou résignées se convainquent que le dénigrement, ces petits mots qui tuent discrètement à l’abri des regards, ne sont que normalité ou passage obligé dans la vie d’une femme ? Ligotées par les menaces physiques, le jugement de l’entourage ou la dépendance financière, pour ne citer que ces trois cas, nombre de femmes maltraitées se trouvent dans l’impossibilité de mener une vie libre et épanouissante.
Aucune société n’est jamais restée figée dans l’Histoire de ce monde ; les femmes ont le droit d’être respectées et écoutées en dépit du souhait de beaucoup de gens de préserver leurs intérêts ou ce qu’ils croient être une partie de leur identité. Aucun crime ne peut être justifié par la référence à une identité, une tradition, une croyance ou un intérêt. Le crime ne devrait être l’étendard d’aucune société. Il est de notre devoir en tant qu’humain de protéger l’intégrité physique et morale des femmes en prenant pleinement conscience du drame qui s’opère en silence et en agissant, chacun à son échelle. En ne se taisant plus.
” Le silence tue. Les silences des femmes tuent. ” – Mylène Flicka
Say No ! Dites Non !
Cet article est une contribution de Madame Marine DOVONON (Folowa Wéwé 😉)Ne ratez plus aucune de nos publications ;-)