Il est de ceux envers qui l’histoire a été ingrate. Et pourtant l’humanité gagnerait à le connaître. Premier africain champion du monde de boxe, Battling Siki eut un destin tragique: brillant de mille feux, il ne laissa aucun de ses contemporains indifférents mais échoua malheureusement dans l’enclos des oubliés.
Une enfance sénégalaise
Si des doutes subsistent quant à son nom exact (M’barick Fall ou Baye Fall), Battling Siki vit le jour en 1897 à Saint-Louis, l’une des quatre communes de plein exercice créées par la France au Sénégal en 1872. Durant son enfance pauvre, il s’amusait à plonger dans la mer du haut d’une falaise pour ravir les touristes qui lui jetaient quelques pièces en échange. Remarqué par une danseuse hollandaise de retour d’un voyage aux Indes, il s’embarque avec elle pour Marseille. Il échoue alors dans la cité phocéenne où il vit de boulots précaires.
L’appel du Noble Art
C’est lors d’un combat de rue qu’il se distingue par son aptitude à la boxe. Il adopte le surnom Siki qui signifie en Wolof « Relève la tête ». De 1912 à 1914, il dispute 16 combats et s’en sort avec 8 victoires, 6 nuls et 2 défaites. Rien de bien extraordinaire encore. La première guerre mondiale marque une pause dans sa carrière car il est appelé au front. Décoré de La Croix de Guerre pour sa bravoure, il retrouve le chemin des rings en 1919 et c’est à ce moment précis que sa carrière prendra son envol.
Vers le succès
Entre 1919 et 1922, il remporte en 46 combats, 43 victoires, 2 nuls et une seule défaite. Sa renommée ne cesse de croître. Il fait le tour de l’Europe et rencontre à Rotterdam celle qui deviendra sa première épouse, Lintje Van Appeltoere. Ceci ne sera pas sans faire grincer des dents car les unions entre Blancs et Noirs étaient très mal vus à cette époque.
Le combat de sa vie
Fraîchement auréolé d’un titre mondial, Georges Carpentier est sur le toit du monde. Son manager, François Deschamps propose un combat face à Siki qui ne cesse de faire parler de lui. L’objectif de ce combat arrangé est de se servir de Siki comme faire-valoir pour Carpentier, ce dernier trouvant très peu gratifiant d’affronter un nègre. Une forte somme d’argent est proposée à Siki pour qu’il s’aplatisse devant son adversaire.
Siki contre Carpentier
Le combat aura lieu le 24 septembre 1922 au stade Montrouge devant 50 000 spectateurs. Evidemment, la presse fait feu de tous bois pour Carpentier et n’hésite pas à affubler Siki des clichés négrophobes en vogue. On peut en effet lire dans un journal: « Agile comme le sont les gens de sa race, il évite les coups […] en se reculant rapidement sur ses jambes […]. Cette tactique, ou plutôt cette méthode un peu primitive, peut-elle être considérée comme égale à la manière classique du champion du monde ? Evidemment non… ».
Se laissant dominer comme prévu durant les quatre premiers rounds, Siki titube, encaisse les coups sans sciller. Finalement agacé par l’attitude arrogante de Carpentier, il lui balance un violent uppercut et le fait vaciller. L’accord est rompu et l’entourloupe ne tient plus. Le vent a tourné et le champion se fait malmener. Sentant la défaite poindre, Carpentier simule une douleur à la cheville et accuse Siki de lui avoir fait un croc en jambe. Dans un premier temps, Carpentier est déclaré vainqueur sous les protestations du public. Face à la fureur de la foule, le titre est finalement accordé à Siki.
L’outsider devenu champion
Un nègre champion du monde, cela passe mal. Siki est l’objet de toutes les conversations et de toutes les unes de journaux. Lui niant ses prouesses techniques, certains évoquent le hasard, d’autres une supposée agilité animale propre aux nègres. Il sera même surnommé le « championzé ». Il était inconcevable qu’un noir soit l’égal d’un blanc sur un ring. Face à la polémique et compte tenu des conditions d’arbitrage qui ne firent pas l’unanimité, son titre lui est finalement retiré.
Le déclin
Déchu de son titre et écœuré par le racisme ambiant, Siki prend finalement le chemin des USA. Il s’y marie avec une américaine blanche. Il dispute quelques combats pour essayer de relancer sa carrière mais est loin derrière l’époque glorieuse. Les défaites s’accumulent et Siki sombre progressivement dans l’oubli. Sa fierté et son mariage avec une blanche dans un pays où sévit la ségrégation raciale ne sont pas du goût de tout le monde. Le matin du 15 décembre 1925, il est retrouvé assassiné de trois balles dans le dos.
Près d’un siècle après son décès, pas grand monde ne se souvient de Battling Siki, cet enfant d’Afrique qui a tutoyé les sommets. De rares documentaires lui ont été consacrés ainsi qu’une bande dessinée. Georges Carpentier parlera de lui dans ses mémoires mais pas en des termes très humanistes : « Frapper le crâne d’un nègre, chacun sait cela dans le monde de la boxe, cela équivaut à une quasi-certitude de se briser la main ».
Sources :
- Lilian Thuram, Mes Etoiles Noires : De Lucy à Barack Obama, 2010, Editions Philippe Rey PP-190-198
- Claude Askolovitch : Battling Siki, l’autre héros noir que la France supplicia sur Slate.FR (https://m.slate.fr/story/114489/battling-siki-heros-noir-france-supplicia?amp)
- Battling Siki (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Battling_Siki)
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