Riche de sa fascinante culture admirée par des centaines de millions de personnes à travers le monde, l’Afrique, berceau de l’humanité, est également connue comme étant une des terres ayant vécu le plus de malheur dans son histoire. De douloureux événements tels que l’esclavage et la colonisation font aujourd’hui partie intégrante de la mémoire du continent noir. Malgré sa teinte douloureuse, cette mémoire est matérialisée à travers des places symboliques et des monuments érigés un peu partout dans les pays africains comme pour rappeler à la jeune génération ce par quoi sont passés ses aïeux. « Les peuples sans histoire sont des peuples sans avenir. » disait Mgr Jean-Louis Bruguès. Zoom sur 5 places, mémoire de l’histoire Africaine…
Bénin : La place Goho, témoignage de la résistance dahoméenne
Tristement célèbre pour les uns, symbole unique et incontestable résistants contre l’impérialisme en Afrique pour les autres, le roi danxomènou, Béhanzin, est gratifié pour ses héroïques actes, d’une somptueuse statue d’argent, à la place Goho, dans la commune d’Abomey au Bénin. Majestueusement paré d’un drap royal, couronné de son chapeau, le résistant se dresse fort droit sur son gigantesque corps supporté par des sandales plantaires pour intimer un « stop » net à l’invasion coloniale française. La pétrification légendaire dans la moule de la vaillance, du courage et de la force inaliénable de ce digne fils de la terre des ancêtres qu’il, au péril de sa vie et de ses proches, n’entendait laisser à aucun étranger, ne l’épargne malheureusement pas de l’attrait d’une naïveté adulte. Celui dont la devise est « je suis un requin, je n’abandonnerai pas un pouce de mon royaume », apprit à ses dépens que la confiance, surtout la foi aux paroles données par les Français, est un fusil dirigé contre soi-même.
Cette innocence meurtrière, le pousse à croire que les colons allaient vraiment l’amener auprès du colonel DODDS pour sceller l’accord du retrait de l’armée française. Honorant le rendez-vous, le requin se rendra, incrédule, à Goho, en 1894, mordant ainsi à l’hameçon. Il fut déporté en Martinique où il résidera jusqu’à son dernier souffle. Moins d’un siècle après, en 1978, une statue à son image fut érigée : symbole de l’exaltation de la résistance et de son opposition farouche contre l’oppression. Aujourd’hui, ce monument d’Abomey est plein d’histoire. Il a aussi abrité la cérémonie de proclamation de l’idéologie marxiste-léniniste du gouvernement militaire révolutionnaire dont le chef de file est le feu Général Mathieu Kérékou.
Ghana : Cape Coast ou le témoin de relais colonial
À l’image de la majorité des villes d’Afrique à l’ère de la colonisation, Cape Coast n’a pas échappé à l’amère expérience de l’envahissement colonial. Comme un objet précieux convoité, elle a subi, comme dans une course de relais, le sort de témoin. Participant pendant de malheureux siècles à un jeu de ping-pong, elle change à plusieurs reprises de nom et de régence. D’abord, avant sa cérémonie de baptême officiée par les Anglais à l’issue de laquelle elle porte sa dénomination actuelle, elle s’appelait, pour les autochtones, Ogua, mais devient Cabo Corso sous la domination des Portugais. Ensuite, elle fut régie successivement par les Portugais, les Hollandais, les Suédois, les Britanniques, les Danois et les Néerlandais du XVe au XVIIe siècle.
Le fort de cette ville côtière de l’actuel Ghana fut la cruche hantée de la traite négrière où plusieurs milliers d’Africains, ont connu l’ultime voyage esclavagiste vers les terres et les plantations américaines. Dans son discours prononcé lors de sa visite au Ghana en 2009, ce lieu de mémoire de la traite des Noirs est pour Obama, « le point de départ de l’expérience africaine-américaine ».
Sénégal : L’île de Gorée ou le paradis terrestre violé
Fière de ses tribulations passées, aujourd’hui, cette petite île de la commune de Dakar est une mine paradisiaque, de part sa vue aérienne. Et comme ses terres, cet espace du Sénégal a une histoire esclavagiste fertile. Nous sommes au XVe siècle. La traite négrière vient de déployer ses tentacules dans le cœur innocent de ce « jardin d’Eden » vaste de 28 hectares. Comme Cape Coast, elle connaît le même sort de passe-passe, en se faisant conquérir par les Portugais, les Hollandais, les Anglais et les Français qui l’ont finalement colonisée. La Gorée érige 28 « Maisons d’esclaves » pour approvisionner l’Amérique, l’Haïti, le cuba…en bras valides qui sont, lorsque chétifs, engraissés avant d’être vendus grâce à la complicité fratricide des Rois Wolof du Cayor et les Rois Toucouleurs. Et comme partout au monde, tous les peuples ne sont pas des « traîtres », les tribus Lébous et Sérères ont mené une résistance sonore, refusant violemment de vendre des esclaves. Le prestige des vestiges de cette période totalement bouleversante a amené l’Unesco à inscrire l’île dont la devise est « Nettoyer, c’est bien, ne pas salir, c’est mieux », au patrimoine mondial en 1978.
Dès lors, le tourisme se trouve être la principale source de richesse de cette île pittoresque. Le touriste y découvrira, les reliques bien entretenues d’un passé douloureux : la dernière Maison des esclaves, la statue de la libération de l’esclavage, le fort Saint-Michel où le canon français a fait couler d’un tir un navire anglais en 1940, le Mémorial des esclaves dont la forme représente la voile d’un navire, l’allée des baobabs dentelée de fabuleuses et ingénieuses œuvres d’art faites essentiellement d’objets recyclés et de la poudre à peindre.
Côte d’Ivoire : Kanga-Nianzé, le lieu de purification avant l’aller simple des esclaves
Les embruns de l’histoire des esclaves ont jailli et se sont aspergés dans toute l’Afrique où la Cote d’ivoire a aussi contribué à la quête d’hommes déportés vers les Amériques et les Antilles. Ici, dans les sables mouvants de la mémoire collective enclin à l’érosion, une terre dure se découvre : Kanga-Nianzé. Il aura suffi de s’abreuver à la source de la connaissance linguistique ivoirienne pour mesurer l’étendue symbolique de cette région qui se situe au Nord d’Abidjan : Kanga (esclave) – Nianzé (eau) signifie littéralement « l’eau des esclaves ». Venant des 4 points cardinaux du pays, c’est là que les « holocaustes noirs » se revigorent et se purifient avant l’ultime voyage vers hors de l’Afrique…
Pour consacrer les souvenirs arrachés à la fureur des événements, il est érigé à la faveur du projet “La route de l’esclave” porté par l’UNESCO en 1994 et inaugurée par les autorités ivoiriennes avec le concours de l’ancien président béninois Nicéphore Soglo, du champion du monde de football français Lilian Thuram et de l’historien congolais Elikia M’Bokolo, une stèle à ce lieu symbolique et sacré pour les Ivoiriens. Aujourd’hui, la croyance aux effets magiques de cette source est encore vivace au point où les villageois lui adressent leurs vœux de réussite et de chance.
Togo : Les Tamberma ou les « bons maçons »
L’histoire africaine ne se résume pas qu’à l’esclavage. Elle est aussi un grenier de valeurs et surtout d’ingéniosités. L’évidence de ces propos se greffe sur le peuple Tamberma qui a immigré au Nord du Togo entre le XI et le XIIIe siècle dont les maisons, les takyiènta en langue tamberma, sont d’une originalité architecturale. Peuple mystérieux et difficile à cerner par l’étranger, son origine est nourrie par un duo de théories qui stipulent d’une part qu’il vient du Danxomê ; d’autre part, qu’il est un descendant d’une ethnie burkinabè. Ainsi, il aurait fui les rafales de l’esclavage d’un coté et de l’autre, les sévices de la famine dédaigneuse… Sa takyiènta, une ingénieuse forteresse à étage, est une pure partition regroupant harmonieusement le monde matériel et celui des esprits. Rondes et gracieuses, fortes et entremêlées, coiffées et parfois teintées, ses cases, badigeonnées d’une décoction de fruit de néré, sont de vrais châteaux de terre battue servant à la fois de demeure pour les morts, les dieux, les animaux et les vivants.
L’invocation des dieux et le rituel du « maintien du souffle des défunts » se pratiquent dans le premier compartiment, notamment dans la première chambre. Celle-ci sert par ailleurs d’étable, de chambre à coucher pour les vieux et aussi de magasin. Il y séjourne en permanence le calme et l’obscurité. De l’autre coté, les mets sont cuits dans la deuxième chambre qui fait aussi office de douche. Par une échelle en bois fourchu, on accède à la terrasse sur laquelle se déroule la vie en famille. Elle est entourée de deux greniers bien gardés à l’abri des voleurs et des rongeurs. De ce perchoir, on perçoit un paysage vivant et culturellement vivifiant qui a poussé l’UNESCO à classer le Koutammakou (les villages des Tamberma) au patrimoine mondial en 2014.
Les sites historiques en Afrique sont légions, mais très peu de documentations leur sont vouées sur le web. Nous nous devons de ressusciter la mémoire africaine pour en tirer des graines. N’hésitez pas à nous faire connaître d’autres sites historiques que vous connaissez !
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