Je n’ai pas trop réfléchi avant de me décider à dédier un billet qui se veut laudatif à ce corps de métier made in Bénin, plein de ressources et de hardiesse. Zémidjan, zém ou kêkênon, ces conducteurs de taxi moto qui se trouvent aujourd’hui en plus du Bénin, au Togo, ne sont pas que des ultras GPS des coins et recoins de nos villes. Ils ont aussi plusieurs autres compétences inconnues.
Des agents de renseignements
Réunis très souvent en de petits groupes à l’ombre d’un arbre à palabre durant les heures de pause, les ” zémidjan ” ne font pas que s’enthousiasmer les papilles gustatives grâce aux bons mets des bonnes dames installées dans les environs, ou siroter une bonne liqueur, ces grands maîtres des principaux artères de nos villes et quartiers s’échangent des informations glanées çà et là auprès de leurs clients ou des médias. Pour les avoir déjà vus à l’œuvre plus d’une fois, comparer leur organisation au plateau “Débat du jour” de RFI ne serait que pure euphémisme. D’un sujet à un autre, les commentaires s’accusent et s’embrassent dans une ambiance conviviale, enrichissant la boite à kpakpatoya des uns et des autres. La fin de la pause concorde généralement avec le début du partage des informations.
Telle une traînée de poudre, les nouvelles s’éparpillent dans toutes les agglomérations des villes jusqu’aux derniers confins de Tchoumi-tchoumi. Chaque client – courtois bien sûr – remporte et rapporte avec lui les faits de sociétés surtout insolites que lui a soigneusement confiés son Kêkênon. Qu’un arbre brûle de l’intérieur à Abomey dégageant de la fumée et de la braise sans que personne ne puisse en préciser la cause, qu’à Porto-Novo la servante Afiavi ait filmé les ébats de son fiancé le trompant avec sa meilleure amie, il vous suffirait de solliciter les services d’un zém pour avoir droit aux buzz du moment. Ils répondent bien à leur sobriquet d’ « agents de renseignements » qu’une certaine opinion commune leur affuble, à raison.
Des psychologues méconnus
Avoir une conversation avec un zémidjan est un acte très lénifiant à maints égards. Quand je m’offrais encore leur service, je me sentais parfois très apaisé après un long parcours qui n’en avait plus l’air. Le temps passait tellement vite entre les interstices de nos discussions au point où, on restait gelé, le kêkênon et moi, bien que ma destination soit accomplie, à raccorder les dernières conclusions de notre sujet de discussion. Aujourd’hui, combien de fois ai-je surpris des clients échanger allégrement avec leur transporteur dans une ambiance bon copain ! Les zéms ont quelque chose, dont je ne peux me permettre de dire le nom au risque de me tromper, qui invite à la conversation, à la confidence.
D’abord, leur statut d’inconnu, ou de « ne sera plus croisé » réconforte nombre de leurs clients dont le cœur est suspendu à rompre sous la charge des préoccupations conjugales ou socioprofessionnelles, à se confier sans risque d’être jugé ou dévisagé. Ensuite, leur réputation de bons conseillers, a bien fait de les précéder. En effet s’investir dans ce corps souvent considéré comme un sot et sous métier a souvent été la dernière alternative pour bon nombre d’individus, pourtant détenteurs parfois de CV très enrichi. #MonwaihDecouverte : Les Zémidjan, ces professionnels du transport urbain à moto, sont de véritables acteurs de la vie sociocommunautaire, économique et politique au Bénin.
La suppression d’un emploi, la fermeture d’une société, le chômage malgré le diplôme potelé, sont maintes raisons qui poussent nos concitoyens à se convertir en conducteur de taxi moto. Ainsi, ingénieur au chômage, doctorant sans travail correspondant à son diplôme, fonctionnaire ayant besoin d’arrondir les fins du mois, étudiant, marié ou père de plusieurs enfants, sont autant de « qualifications » dont ils peuvent se prévaloir.
Leurs expériences quoique malheureuses pour la plupart, leur octroient une certaine générosité d’esprit à débattre de maints sujets et à offrir ce qu’ils ont de plus cher pour la circonstance : des conseils très salvateurs et utiles.
Et ce serait un crime d’oublier le sens de solidarité du Zémidjan
Fiat lux dans ma vie et dans celle de mes collègues. Ainsi se résume le credo des zéms. À une époque où l’individualisme se clame et s’exprime avec honneur à côté d’une solidarité en phase terminale de sa décrépitude, les zémidjan demeurent une oasis dans le désert. Il aurait suffi de les voir sur un parc ; vous pouvez mesurer la grandeur de l’honneur, le respect qu’ils se vouent, les taquineries et les rires à tue-tête qu’ils s’offrent pour se moquer d’une conjoncture économique très sévère.
Je ne dirai pas que l’entraide qu’ils conjuguent au quotidien est un code irréversible. Je vous soufflerais plutôt qu’ils sont prêts à tout pour éviter à leur collègue de tomber dans le guet-apens d’une répression policière ou des contrôles parfois exagérés de leur syndicat. Cette solidarité va, à bien de cas exceptionnels, au-delà de sa dimension informative se métamorphosant en une solidarité agissante comme ce fut le cas à Bohicon, à Calavi, à Cotonou ou Abomey.
Soulèvements, routes barrées, véhicules de patrouille incendiés, pneus brûlés, sont l’expression d’une hargne prenant corps à travers les révoltes contre les actes et violences parfois meurtriers dont font preuve certains policiers à leur égard. La mémoire retiendra que le zémidjan ne tolère aucun préjudice (mortel) à l’encontre de ses autres collègues.
Les kêkênons, ces transporteurs – humoristes
Nous vous avons parlé du Cotonou Comedy Club il y a quelques mois. Leur principaux concurrents dans la bonne humeur sont les Zémidjans, qui à un moment donné, produisaient les mêmes sensations que les humoristes/comédiens de ce harem de gaité et d’apaisement. Au temps du Président Yayi Boni, les conducteurs de taxi moto avaient la réputation d’être anticonformistes à travers le rire. Se moquer des reformes trop sévères conduites avec zèle et empressement, est une autre façon d’exprimer leur révolte. Tenez, le port obligatoire du casque, ça vous revient ? Oui ? Non ?
Si vous connaissez d’autres qualités secrètes des zémidjan, partagez-les avec nous.
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