Les noms dans la culture Yoruba

« Odò ti ó bá gbàgbé orisun gbi gbẹ ló ngbẹ » – Proverbe Yoruba

« La rivière qui oublie sa source finit par se tarir ».

C’est par ce proverbe de chez moi que j’exprime combien je sens le besoin de nous attacher à nos cultures. Même si je partage en partie l’avis de ceux qui pensent que la culture devrait évoluer avec le temps et non rester statique (cas de l’excision), cela n’est aucunement une excuse valable pour couper tout lien avec un ensemble de pratiques ayant durant des milliers d’années refléter l’identité de nos lignées respectives.  D’ailleurs à cet effet, le yoruba dit « Bibi ire kò ṣe fi owó rà. »

« Une bonne lignée ne s’achète pas avec de l’argent. »

La culture occupe une place très importante dans la société Africaine et plus précisément chez nous Yoruba. Les noms dits indigènes que nous portons et les panégyriques en l’honneur de nos lignées  expriment la grandeur de la destinée de chacun de nous. Le pouvoir des mots est une croyance très ancrée dans la culture Yoruba. Vous rencontrerez des personnes portant aujourd’hui des noms yoruba dont ils n’ont pas conscience de la portée parce qu’il faut avouer que face à la beauté de la langue (, à tout seigneur tout honneur), bon nombre sont ces parents – majoritairement non yoruba – qui donnent de nos noms à leurs enfants parce que cela sonne bien dans leurs oreilles ou parce qu’ils ont toujours eu envie d’en donner à leurs progénitures. Vous laisser, cependant, croire que de tels dérapages n’existent pas au sein de la société Yoruba elle-même serait de la mauvaise foi. Mais le yoruba dit : « à ò pé kámá jọ Baba ẹni timútimú, ìwà lọmọ àlè. ».

«Il ne suffit pas de ressembler trait pour trait à son géniteur, le comportement distingue le bâtard»

Evitons de (faire) porter des noms (à nos enfants) qui ne reflètent pas qui nous sommes. Chaque nom yoruba a une origine et porte en lui une histoire, une destinée.

Origine des noms yoruba

Nos aînés et gardiens de nos traditions disent : « Ilé lánwò ki atun sómo lóruko ».

« On se réfère à la maison avant de nommer un enfant. »

Ceci étant, aucun nom n’est donné au hasard, ou du moins n’est supposé être donné au hasard. Nombreux sont les noms yoruba dérivés des réalités familiales, formés généralement avec un préfixe, nom du dieu (ou de la déesse) adoré dans la famille comme Ògun – dieu de fer/guerre, ango – dieu du tonnerre, Oya – femme de Sango, Eu – le diable, Osun – déesse de la rivière, Ifa – Divination, Oso – dieu de l’assistance/la sorcellerie, etc. Compte tenu des changements de croyances religieuses au sein de plusieurs familles, beaucoup de ces préfixes sont aujourd’hui remplacés par Oluwa pour désigner Dieu créateur du ciel et de la terre. Certains vont jusqu’à remplacer ces préfixes par Jésu en hommage à Jésus-Christ, le fils de Dieu qui s’est sacrifié pour le pardon de nos péchés. Ainsi vous rencontrerez aujourd’hui des Oguntoyin (Ogun mérite d’être loué), Sangotoyin (Sango mérite d’être loué), Oyatoyin (Oya mérite d’être louée), Esutoyin (le diable mérite d’être loué), Osuntoyin (Osun mérite d’être louée), Ifatoyin (Ifa mérite d’être loué), Osotoyin (Oso mérite d’être loué) mais surtout des Oluwatoyin et également des Jésutoyin.

Il existe des préfixes qui à l’origine étaient propres qu’à la grande classe de la société yoruba à savoir Ade – la couronne, Olu – le seigneur (la seigneurie locale, mais dernièrement en référence aussi à Oluwa), Ola – la richesse, Oye – la chefferie. Ainsi nous avons les Adebiyi (la couronne a engendré ceci), Olusegun (le seigneur est victorieux), Kolawole (fais rentrer la richesse), Oyeyemi (la chefferie me sied), Ayodélé (La joie est arrivée à la maison)… Cependant en lieu et place de la couronne, Adé peut également signifier celui qui vient. C’est le cas dans Adebisi (qui vient augmenter), Adesina (qui vient ouvrir la voie), etc. D’autres préfixes tels que Akin – le brave, Oba – le roi, Ayo – la joie, Baba – le père, Ife – l’amour, Ibi – la naissance, Eni – la personne, Iya – la mère… sont aussi utilisés dans les noms yoruba, la liste est loin d’être exhaustive.

Il y a des noms yoruba qualifiés de « venus du ciel ». Nous les appelons Oruko amutorunwa car étant persuadés que certains enfants viennent avec des noms qui leur sont prédestinés.  C’est le cas des jumeaux, le premier s’appelle Tayé ou Taïwo pour signifier l’éclaireur pendant que le dernier (connu comme étant l’aîné ayant ordonné au premier de venir prendre connaissance du monde) porte le nom de Keyindé pour signifier le dernier à venir. Un enfant né de la même mère après ces jumeaux portent le nom de Idowu (Idohou), celui après lui est appelé Alaba. Un bébé qui sort avec les pieds en premier au lieu de la tête est appelé Ige (Igué). Un enfant né avec le cordon ombilical autour du cou est appelé Ojo (garçon) ou Aina (fille). A chaque circonstance de naissance est associé un nom particulier. Quand un bébé naît après la mort de son père/sa mère/son grand père/sa grand-mère …, ce dernier porte le nom de babatundé (le père est revenu) ou babatunji (le père s’est réveillé) ou encore Iyabo (la mère est revenue). Le jour de naissance de l’enfant lui prévaut également un nom. Le rang de l’enfant (premier garçon/fille – Woru pour les garçons et Yeba pour les filles, deuxième, troisième, etc.) dans la famille lui prévaut aussi un nom. Un enfant qui naît après que ses parents aient perdu plusieurs grossesses ou nouveaux-nés est un abiku et doit porter un nom en particulier tout comme Jokojayé (assieds-toi et profite de la vie), Malomo (ne pars plus), Omotunde (l’enfant est revenu) etc. Un enfant dont la mère est tombée enceinte sans avoir jamais eu ses menstrues s’appelle Ilori. (weah, ma culture a tout prévu ).

A ces origines s’ajoute également ce que représentent les enfants pour leur parent. Ici le choix est libre et le parent peut donner le nom de son choix sans bien évidemment empiéter sur les noms spécifiques qui ne sont pas propres à son enfant. Nous avons par exemple Morenike (j’ai trouvé qui choyer), Remilokun (apaise-moi), Ayomide (ma joie est arrivée), etc.

Les principaux types de noms yoruba

Même si de façon générale, oruko est ce à quoi on pense quand on fait allusion aux noms yoruba, les oruko ne sont pas les seuls types de noms yoruba. Il existe trois principaux types de noms yoruba.

Oruko

Il regroupe une catégorie de prénoms (oruko omo) et la plupart des noms de famille (oruko ebi). On y retrouve les noms formés à base des préfixes cités ci-dessus, les noms auxquels les enfants sont prédestinés compte tenu des circonstances de leur naissance et également de ce qu’ils représentent pour leurs parents.

Oriki

Les oriki sont des noms poétiques. On leur reconnait dans la culture yoruba les fonctions suivantes :

Les oriki portent aussi en eux une histoire qui peut décrire les présages futures de la vie de l’enfant, ou comment sa naissance est perçue, ou ce qu’il représente pour ses parents, ou comment il est né, etc. L’oriki est appelé pour faire l’éloge de l’enfant. Les oriki pour homme sont différents de ceux pour femme. A titre d’exemple, nous avons : Ajoke (celle dont tout le monde prend soin), Abeni (celle qu’on a suppliée pour avoir), Ajani (celui dont on s’est battu pour avoir), Anike (celle qu’on a pour en prendre soin), Ajagbe (celui pour qui on s’est battu pour avoir la grossesse), Apeke (celle qu’on a appelé pour en prendre soin), Alabi (celui qui est rare, d’une grande importance), etc.

Les oriki varient en longueur, les courts comme ceux cités ci-dessus sont des oriki de l’enfant (oriki omo), il y en a de plus longs qui sont des oriki de toute une lignée (oriki ebi / orile).

Orile

Les orile sont des oriki de la famille, la collectivité. Plus longs que les oriki omo, ils sont un récital des réalisations d’une lignée. Ils sont appelés lors de l’éloge d’un enfant ou d’une famille visant la fierté pour le parent/la lignée ou en tentant d’évoquer des traits de caractère vertueux de la bravoure/courage/persévérance qui semble inné chez une personne en raison de son pedigree. Ce sont les panégyriques de chaque famille.

A l’origine, les noms yoruba sont donnés aux garçons au neuvième jour de leur naissance et au septième jour pour les filles mais aujourd’hui fille et garçon sont normalement nommés au huitième jour de leur naissance. Malheureusement, des acculturés nomment leurs enfants le jour même de la naissance dans la précipitation sans prendre en compte les réalités sur lesquelles se basent notre culture. Nos traditions sont en perte de vitesse face à notre désintérêt et nos prénoms aussi significatifs que révélateurs sont ignorés au profit des Jacqueline, Gontran, John et je passe. Nous gagnerons pourtant à ne pas agir comme cette rivière qui ignore sa source car le tarissement ne produira autre chose que la perte de notre identité.

Quitter la version mobile